Les artistes et l’art sacré

Ancrée dans le sol comme un repère qui défie le temps des existences humaines parce qu’elle entend porter un message qui accompagne le quotidien des croyants autant qu’il le dépasse, après des siècles de visibilité stable et continue, l’église depuis environ soixante-dix ans a notablement évolué. Cette évolution se note à la fois dans sa mission d’évangélisation et dans sa présence de témoin que ce soit au milieu des communautés de fidèles qui en faisaient ou en font encore un de leurs centres de vie mais également au sein même d’une société qui s’est sécularisée sinon détournée du fait religieux et met le lieu de culte traditionnel au rang d’un lieu public comme les autres. Elle offre également, à travers son architecture et sa décoration un visage radicalement renouvelé par rapport à celui qui a été le sien pendant des siècles. En d’autres termes, l’église romane, la cathédrale gothique, la basilique néoclassique ont été remplacée par l’église de fer et de béton. Citons juste à titre d’exemple Notre-Dame du Raincy, édifié en 1922 par Auguste et Gustave Perret. 

 

Si ce livre ne porte pas de jugement en tant que tel sur cette évolution aux plans de l’héritage ecclésial et de la transmission des dogmes, il analyse en revanche de façon aussi pertinente et complète que possible et sous l’éclairage de l’histoire récente, l’impact et les conséquences que les mutations intervenues dans ses fonctions entre 1945 et nos jours ont eu sur la présence de l’église et donc sur l’architecture et les arts sacrés au sens général qui ont participé à cette « redéfinition » de sa place et son témoignage. Pour les deux auteurs, il s’agit de voir, de comprendre et de démontrer de quelle manière architectes et artistes ont pris en compte les progrès et les ruptures qui se sont succédé afin de les interpréter et les traduire dans leurs œuvres. Il est en effet indéniable que les changements radicaux que l’église a connus ont eu sur l’art sacré et les actions des créateurs au long de la période considérée des incidences novatrices ou au contraire dévastatrices, toujours déterminantes, modifiant de façon profonde la perception des édifices religieux dans leur environnement urbain ou rural.

 

Dans cet épais ouvrage extrêmement bien documenté, les deux axes retenus, l’architecture et les arts sacrés, font l’objet chacun d’une partie distincte. Mais elles se relient à l’évidence l’une à l’autre, les verriers et les architectes se retrouvant inévitablement au moment des lancements des chantiers pour élaborer leurs projets. Précisons ici que « trois mille églises catholiques ont été bénites en France depuis la Seconde Guerre », ce qui constitue un chiffre considérable et par conséquent autant de projets, ceux de rénovation étant inclus. La partie architecturale proprement dite, qui occupe donc la première partie de l’ouvrage, n’est pas traitée dans cette brève présentation. Rappelons simplement qu’elle a joué un rôle essentiel en matière de réappropriation de l’espace par les lieux de célébration sous l’impulsion croisée de deux mouvements, le Mouvement liturgique et le Mouvement moderne. L’architecture a eu de ce fait une responsabilité majeure dans le renouveau des édifices religieux au lendemain du conflit, quand la priorité était à la reconstruction en soi et que les moyens, souvent modestes, trouvaient un relais indispensable dans l’élan des clercs bâtisseurs et des fidèles donateurs qui suppléaient ainsi à la limitation des ressources de l’Etat.

 

La seconde partie concerne la place des arts décoratifs dans ces mêmes édifices dont la vocation première a été et demeure aussi complémentaire de l’architecture qu’indispensable à sa mise en valeur. Longtemps le vitrail a eu des fonctions précises, éclairer, embellir, fermer et protéger l’intérieur de l’église, éventuellement enseigner si l’on possède les clés de compréhension. Depuis ces dernières décennies, il sert aussi de médiateur. S’agissant des arts plastiques dans leur ensemble, comme pour l’architecture, cette période connaît plusieurs phases importantes qui se manifestent par des tendances et des courants souvent très opposés, des débats passionnés, des controverses et des critiques sévères, chacune étudiée, présentée et commentée par Christine Blanchet, historienne de l’art. Son texte est la synthèse de sa thèse de doctorat. Entre autres analyses et données, elle explique et détaille le rôle décisif des Pères Couturier et Régamey, la place de la revue L’Art Sacré, celle des Ateliers d'Art Sacré fondés en 1919 par les peintres Maurice Denis et Georges Desvallières ou encore le rôle de prescripteur des Monuments historiques. Après la période dite « d’épuration » et de mise de côté d’éléments du patrimoine, un nouvel élan est donné grâce notamment à quelques maîtres. Si certaines réalisations sont célèbres, comme la chapelle de Vence décorée par Matisse, la chapelle de Ronchamp conçue par Le Corbusier et achevée en 1955, l’église du plateau d’Assy qui signe le renouveau, d’autres le sont moins qui pourtant ont participé à cette reprise d’un art liturgique proprement dit, comme on peut le voir avec l’église néo-gothique Saint-Martin à Lognes. Le cas de la cathédrale de Nevers est révélateur de cette « querelle des vitraux » qui suscita de vives discussions partisanes et des tensions entre profane-sacré et figuratif-abstraction qui ont traversé l’iconographie religieuse. L’écrivain Marcel Arland au sujet des verrières avilissant Saint-Laurent à Paris dénonça « l’industrie officiellement estampillée » du vitrail. A son arrivée au ministère de la culture, Malraux pour sa part maintint la ligne d’une politique cohérente et d’envergure. La question de l’alliance entre profane et sacré demeure toujours actuelle.   

 

Les églises nouvelles qui s’établissent dans des espaces récemment conquis, particulièrement en termes de diversités des populations qui requièrent des signes « de solidité et de pérennité » adaptés, visent à « inscrire dans cette recherche d’humanité une présence spirituelle ». De Nantes à la Savoie, de Charenton à La Rochelle, l’auteur donne des exemples nombreux et détaillés de ces sites qui entrent dans cette vision postmoderne. Il faut lire avec attention les pages très instructives concernant cette relance d’une esthétique religieuse, comme le montre l’exemple de la cathédrale de Rodez où Stéphane Belzère, suivant un programme fixé par le clergé, après d’amples recherches et sans perdre son propre style, a pris en compte la dimension biblique pour créer des vitraux d’une émouvante élévation, comme cette Transfiguration de 2004-2007, magnifique dégradé de rouges. On trouve en outre beaucoup de données intéressantes sur l’art du vitrail proprement dit, comme l’apparition de nouvelles tendances face à la tradition (disparition du plomb notamment). Les deux auteurs enfin portent un regard sur les réalisations menées dans plusieurs pays européens et apportent à cet égard beaucoup d’informations selon une perspective internationale, permettant de les suivre ou de les comparer avec ce qui s’est fait en France. Les illustrations à chaque page, le plus souvent en vis-à-vis des textes, favorisent beaucoup leur compréhension.   

 

Dominique Vergnon

 

Christine Blanchet, Pierre Vérot, Architecture et arts sacrés de 1945 à nos jours, éditions Archibooks, 23,5x25 cm, 616 pages, nombreuses illustrations, mai 2015, 26,90 euros.

 

 

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