Caravage, l’ardeur et la ferveur

Une vie très brève et pour le moins très agitée, la célébrité qui traverse le temps, l’héritage d’une peinture extraordinaire, au sens premier du mot, laissé à des générations de peintres. Voyages, rixes, scandales, querelles, Caravage bataille avec ses mains et se fait pardonner avec ses pinceaux. Il balaie les conventions sociales autant qu’il rejette les principes picturaux. Peintre éminent, artiste désinvolte, sensuel et religieux, son tempérament et sa peinture parlent le même langage, celui de l’ardeur et celui de la ferveur. Les ombres et les rayons de lumières se rejoignent jusqu’aux points parfaits d’équilibre, de l’humanité telle qu’elle est, d’une originalité sans précédent au profit d’une esthétique sans équivalent. Chez lui, dans le miroir d’Eros se reflètent les rides de l’apôtre. Ses modèles qui viennent des tavernes se bagarrent tout comme lui se bat contre l’ardu clair-obscur rendu avec une maestria inégalée, un brio renouvelé, une virtuosité réitérée. Loin d’avoir détruit la peinture comme des jugements limités l’ont avancé, il l’a lancée vers son avenir. Gloire et désespoir d’un artiste comme on l’a souvent dit. Caravage a d’abord peint les autres tels que nous sommes, ceux qui rient et souffrent, qui se désespèrent autant qu’ils espèrent.  

 

D’entrée, on lit que cet ouvrage est « né d’une grande ambition ». Celle de ceux qui ont collaboré afin de faire de ce livre une exploration honnête dans l’existence et l’œuvre de ce personnage au sujet duquel il est évident et facile d’écrire qu’il est tout et son contraire. Mais le portrait se précise. On lit aussi qu’il est « agressif, populacier, un contempteur de la religion, assassin impénitent et misérable proscrit » et en même temps « un intellectuel raffiné, profondément lié aux tendances de la Contre-Réforme, généreux, avisé ». On ne comprend bien cet homme que si l’on accepte les ambiguïtés qu’ont les sentences. Il faut se défaire devant Caravage de la prétention de percer à jour un caractère et de savoir tout sur le sens d’un tableau, éviter de le condamner par avance ou de réduire son œuvre à des propositions plastiques partielles. Ils restent en eux une part de mystère qui nous les rend encore plus attrayants.      

 

Ces pages n’aspirent pas faire une synthèse des connaissances accumulées depuis des siècles sur Caravage. Les axes de recherche portent sur quelques points essentiels, la question des attributions - certaines ont été depuis ces dernières années revues et corrigées -, la jeunesse, la technique, le réalisme qui supplante le maniérisme, ses activités tantôt publiques et tantôt religieuses, le volet musical qui est parfois oublié et bien sûr le naturalisme. Pas de grandes révélations tirées d’archives inconnues, ce qui pourra avoir lieu éventuellement un jour, mais un regard aussi impartial que possible, une plongée dans les obscurités des toiles qui renvoient des lumières riches de tons divers, une attention aux  caractères, une réflexion sur les ombres qui absorbent les reflets trop vifs et les imperfections d’un esprit prompt à s’échapper.

 

Au long de cet ouvrage le lecteur voit comment la puissance des formes et des couleurs arrêtent les yeux. Les pages centrées sur des détails en apportent la preuve. Les illustrations qui constituent sans conteste le point fort de ce volume procurent aisément cette double approche, indispensable et dont il est nécessaire de se munir avant d’aborder Caravage, celui qui en définitive a bouleversé radicalement les règles de l’art. Ce poète de la plèbe a initié une vaste révolution des dogmes dont les ondes s’élargissent loin dans l’histoire. Citons par exemple ici la rivalité stimulante qui l’opposa à Annibal Carrache autour de 1606 à Rome. Ses positions loin de toute servilité lui ont valu de grandir encore dans sa conquête d’une place unique et que personne ne cherche à lui ravir.

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Claudio Strinati, Caravage, éditions Place des Victoires, 360 pages, 400 illustrations, 28x38 cm, novembre 2015, 69 euros.

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