Apollinaire, l’art d’un poète

Dans sa vie comme dans ses écrits et ses critiques, Guillaume Apollinaire a un style qui n’appartient qu’à lui, inimitable, surprenant, séduisant, alliant la tradition la plus classique à l’innovation la plus moderne. Dans ses poèmes, la simplicité rivalise avec la complexité, les mots fleurissent, éclatent en gerbe, retombent en lumières, charment, grisent. « Mes images ont valeur d’un vers » disait-il, à propos de ses calligrammes. La lecture de ces poèmes-dessins devient presque un jeu sur lequel la curiosité revient sans cesse, attirée par ces architectures légères qui véhiculent la pensée. Chez Apollinaire, la fantaisie rencontre la gravité, la nouveauté a toujours rendez-vous avec l’originalité. Il est curieux de tout, il est en avance sur tout. Par exemple, au sujet du cinéma, art auquel il est sensible, certes pour ses montages mais surtout pour la « fusion artistique » qu’il permet et dans lequel il voit un progrès. Il publiera un premier texte en 1910 dans L’Intransigeant.

 

Dans le recueil de poèmes Alcools paru en 1913, auquel il travailla près de quinze ans, l’un d’eux s’intitule « Rosemonde ». Dans ce nom, deux mots s’ajoutent et donnent comme une échelle de mesure pour en voir le sens, rose et monde. On entre dans un double espace, celui de l’amour et de l’universel, du lyrisme ancien et de la plastique moderne. La valeur qu’Apollinaire accorde aux mots leur apporte des couleurs. Entre eux la liberté circule comme survient avec eux l’enchantement, sans prévenir. On pense au tableau de Chagall, Hommage à Apollinaire, de 1913, où se tient dressé dans le centre d’un vaste cercle dont les teintes s’enroulent et s’harmonisent, le couple originel. Il s’unit et se sépare en même temps qu’il est le cœur d’une nouvelle notion du temps dont l’enclot le cadran.

 

Au moment où les feux du fauvisme commencent à s’éteindre, vers 1907-1908, Apollinaire « s’affirme comme critique d’art ». Il soutient dès ses débuts Matisse dont il apprécie au plus point La Danse et La Musique, soulignant « la couleur très rare et très belle » et « la puissance décorative » de ses œuvres. Dans la préface du catalogue de l’exposition Matisse-Picasso, qui se tient du 23 janvier au 15 février 1918 à la galerie Paul Guillaume, il écrit que « tout tableau, tout dessin d’Henri Matisse possède une vertu qu’on ne peut toujours définir, mais qui est une force véritable ». Son nom naturellement est lié au cubisme. Apollinaire, écrit un des auteurs, « s’est longtemps défié de l’idée de mouvement cubiste » mais qu’il défendra par la suite, estimant que le cubisme « forme bien une école ».

 

Avec Paul Guillaume, rencontré en 1911, il entretient une correspondance suivie. Le nom de l’un se relie naturellement au prénom de l’autre. L’un achète et vend, l’autre conseille et rédige les chroniques. Ils sont deux médiateurs et passeurs de la modernité, deux créateurs et découvreurs de talents, deux explorateurs et deux précurseurs. On est ici en compagnie de Derain, Braque, Chirico, Vlaminck. Dans ces lettres où se perçoivent les divergences, se lit aussi l’humour. « Picasso, je l’ai vu, mais il fait le paon, et ma foi, il a raison puisqu’il a les plumes pour le faire » note Paul Guillaume. Le 27 novembre 1915, il écrit à Apollinaire : « La galerie est fermée. Je suis dans la purée noire ces jours-ci… ». Modigliani a exécuté en 1915 (huile sur carton) un portrait du célèbre marchand, la cigarette à la main, chapeau sur la tête, mince, émouvant, drôle, cabotin. En bas à gauche, en lettres bleues, on lit Novo Pilota !

 

Le 17 mars 1916, a lieu un bombardement. « Je lisais à découvert au centre de ma section, je lisais le Mercure de France ». Un obus de 150 explose à 20 mètres de lui. Il a son casque mais il est frappé à la tempe droite. « Et naguère, au temps des lilas, l’Eclat tempêta sous mon crâne ». Le 9 mai, il est trépané. Un jeune étudiant en médecine passe le voir. Il s’appelle André Breton. Picasso fait un touchant portrait la tête bandée et de profil (crayon graphite et crayon Comté) de l’auteur du recueil Le poète assassiné paru la même année. Leonetto Cappiello, peintre et illustrateur italien, réalise un dessin pour la couverture du livre : un soldat à cheval avec du sang coulant de sa tête. Second coup du destin. La grippe espagnole l’emporte le 9 novembre 1918.  

 

Richement illustrées, ces pages auxquelles ont collaboré presque une vingtaine d’auteurs, constituent un des ouvrages les plus intéressants et denses jamais publiés sur Apollinaire. Il accompagne la magnifique exposition qui se tient au musée de l’Orangerie dont le début du parcours s’intitule J’émerveille. Avec « Un homme-époque » ou « Méditations esthétiques », ce titre escorte le cheminement dans les superbes salles où entre les documents, les lettres, les livres, les tableaux, les objets, les extraits de films, le regard est invité à un voyage dans l’art sous toutes ses formes, exprimé selon tous les vocabulaires. Pour le plaisir et pour l’esprit, ce regard émerveillé croise aussi bien Cézanne, Sonia Delaunay, L’Arétin, Baudelaire, Natalia Gontcharova qu’une marionnette de l’ethnie Kuyu du Congo, un menu de déjeuner et L’Oiseau du Bénin en cuivre battu. L’art partout entoure le poète qui aimait l’art.

 

Dominique Vergnon   

 

Sous la direction de Laurence des Cars, Claire Bernardi, Cécile Girardeau, Apollinaire, le regard du poète, Gallimard/musée d’Orsay, 320 pages, 270 illustrations, 21,6x28,8 cm, avril 2016, 45 euros.

 

Edition de Peter Read, introduction de Laurence Campa et Peter Read, Guillaume Apollinaire/Paul Guillaume, Correspondance (1913-1918), Gallimard/musée de l’Orangerie, 192 pages, 54 illustrations, 16x22 cm, avril 2016, 19,50 euros. Ces deux ouvrages sont publiés à l’occasion de l’exposition qui se tient jusqu’au 18 juillet 2016 au musée de l’Orangerie; www.musee-orangerie.fr

 

 

 

 

 

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