La campagne en compagnie de Caillebotte

 

Tout jeune, Gustave Caillebotte découvre les charmes de la campagne. Il ne les oubliera plus. La vallée de l’Yerres, la forêt de Sénart, les bois des environs, il entre dans la nature comme il entre dans l’art, et son attachement pour ce double ancrage de son existence ne faiblira pas. Il observe également les villages et leurs activités rurales. Ce qu’il aime sera désormais à la source de ce qu’il peindra, les fleurs, les arbres, les champs, le jardin potager, les choux, les tournesols, les nymphéas et leurs reflets dans l’eau, les jardiniers. Mais aussi des bateaux, une barque au mouillage, les joies du nautisme. Un de ses autoportraits le montre à la barre. Sur une photo prise par son frère Martial en 1892, on le voit « à sa table d’architecte naval ». Ce monde de verdure et d’horizons marins contraste avec cet « univers minéral » qui est celui du Paris d’Haussmann qui constitue dans son œuvre un autre domaine non moins important et dans lequel son étonnant talent de metteur en perspective s’exerce avec non moins de brio. Là encore, il prend pour sujets ce qui anime le paysage urbain, les passants, la neige sur les toits, la pluie luisant sur les pavés, les fiacres. Les codes de la citadinité d’un côté, les joies de la rusticité de l’autre.

 

Acquise par son père en 1860, la propriété familiale située à Yerres, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Paris, est le premier cadre de ses enchantements dont ses tableaux vont fixer les impressions. L’attention de Caillebotte envers les fleurs et les plantes est immense. Quand il arrive au Petit Gennevilliers, où il a acheté une propriété, il plante aussitôt des fleurs. On lit qu’il « fait amener par bateaux de longs trains de péniches - la terre fertile que le sol de cet aride coin de banlieue ne pouvait lui fournir » et qu’il « fait aplanir la surface de l’ancien potager et installe un système d’arrosage ». Il en conseillera d’ailleurs l’usage à son ami Monet. Martial a pris une photo montrant l’artiste, coiffé de sa casquette, dans sa serre, où abondent les plantes en pots. Dahlias, glaïeuls, orchidées, parterres de marguerites, capucines sur un mur, son affection se transpose sur sa palette et anime les couleurs qui s’harmonisent et vibrent à l’unisson de son regard admirateur pour les bourgeons, les pétales et les feuilles. Le jardin du Petit Gennevilliers « a pour le peintre la double fonction de laboratoire d’horticulture et d’atelier d’artiste ».   

 

Gustave Caillebotte va réaliser à Yerres, « le vert paradis », un grand nombre de toiles, qui ont pour thèmes les prairies voisines, les sous-bois, le parc, les allées et les massifs de fleurs. Mais aussi des scènes où l’eau devient le sujet et l’acteur. Car on l’a vu, la passion de Caillebotte pour l’eau, la mer, les régates est égale à son affection pour le végétal. 


Il sait manier parfaitement les avirons, il est un skipper reconnu. Ses tableaux représentant les canotiers ramant et les périssoires qui fendent l’onde bleutée sont célèbres. Il rend avec une sensibilité et une justesse remarquable la notion de vitesse et de vent en quelques traits blancs de part et d’autre des embarcations, en inclinant les mâts et les voiles, en irisant les reflets de la Seine (Régates à Argenteuil, huile sur toile, 1893). Les deux frères remportent des courses en mer et Gustave ne dessine pas moins les plans de vingt-cinq bateaux.

 

Juste reconnaissance d’un artiste qui, ainsi que le note l’auteur, a souffert d’un long et injuste « purgatoire ». Sa modestie n’eut d’égale que sa générosité. L’indépendance qu’il préservait dans sa vie, il la manifestait dans son travail. Son œuvre en témoigne. Elle apparaît plus que jamais séduisante et audacieuse. On est loin de cette « facture est un peu sèche » relevée par Zola en 1880, on lui rend la sincérité de son émotion.

 

Dominique Vergnon

 

Marina Ferretti Bocquillon, Caillebotte, peintre et jardinier, Hazan, 160 pages, 150 illustrations, 24,5x29,5 cm, mars 2016, 29 euros. Catalogue officiel de l’exposition Gustave Caillebotte, peintre et jardinier, au musée des impressionnismes Giverny, du 25 mars au 3 juillet 2016.

 

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