Les subtiles alliances de la céramique coréenne

A la terre fragile et terne le feu donne sa résistance et son éclat. La porcelaine en reçoit sa pureté. Davantage, sans doute, une subtilité dans les tons, les allures, les tournures. Il s’agit d’une alliance qui semble aussi naturelle que savante, aussi commune qu’unique, à laquelle s’ajoutent les raffinements propres aux modes orientales et que l’esprit d’un pays aux très anciens héritages majore au point de lui donner des objets si particuliers que l’écrivain d’époque Song, Taiping Laoren, les estime être « les meilleurs sous le ciel ». La bienséance royale impose un décorum, tout comme la sobriété peut-être une marque de distinction. Le regard autant que la réflexion s’arrête devant un oreiller à décor incrusté de pivoines, grues et nuages, datant du XIIIème siècle. Il « fut sans doute utilisé par un aristocrate du royaume de Goryeo, pour prendre quelque repos au cœur d’une chaude après-midi d’été ». La latitude d’inventer des créateurs de ces formes ne manque pourtant pas d’obéir aux critères d’une société qui a ses rites et ses exigences. La vaisselle quotidienne ne cède pas sa finesse devant celle qui sert de manière plus officielle. Les différences se jouent sur des détails, qui au vrai donnent une grâce supplémentaire. Les gammes de couleurs font penser à ces variations sans limites de la végétation, des eaux, du ciel. Celle du jade domine, elle est sans cesse somptueuse dans ses nuances. Mais les pigments employés, bleu de cobalt, rouge de cuivre, brun de fer, apportent des notes d’un chatoiement recherché, des tonalités qui appuient les répertoires des dessins. Le désir de splendeur requiert la perfection totale. Il est une pratique courante chez les potiers, briser les pièces ayant un défaut. On imagine que le moindre d’entre eux, invisible à l’œil inexpérimenté, implique le geste fatal.  

 

 

Une carte indique la répartition des fours du XVème au XIXème siècles. Prenant pour repères quatre dates, un tableau met en évidence la chronologie comparée des royaumes, dynasties et ères de Corée, de Chine et du Japon. On est surpris par cette abondance de sites. En Corée, depuis la fondation des trois royaumes, la tradition la plus fidèle est revisitée par l’innovation la plus avancée. Ici, les sagesses du passé se relient aux audaces contemporaines, sans ruptures fortes qui amoindriraient l’intérêt de chacune. Comme le montrent les pièces présentées, quels que soient les âges, demeurent la grâce, la délicatesse, cette magnificence des formes qui additionne la discrétion à l’ampleur. Le renouvellement est gage de beauté repensée mais qui ne perdrait pas ses racines. La rusticité extrême d’un bol à décor appliqué en terre cuite du Néolithique est-elle moins séduisante que cette Jarre de lune, globe parfait d’argile blanche rompue par une trace de bleu, réalisée par Park Youngsook en 2010 ? La simplicité des bouteilles en forme de flasques avec motif floral incisé et gravé buncheong du temps de la dynastie Joseon disparaît-elle devant cette autre simplicité des bouteilles avec motif de bosanghwa et volutes, en porcelaine « bleu et blanc », produites quatre siècles plus tard ? Le dragon au museau stylisé qui serpente sur une jarre ventrue est-il moins convenable ou moins aimable que la grappe de raisin grenat qui orne une bouteille et symbolise le bonheur ? La matière qui obéit au travail des mains rejoint l’idée qui lui insuffle ses contours. La nature n’est jamais loin, elle qui inspire des modelés proches de la pêche, de la montagne, d’un animal mythique. « Les lettrés fondateurs de la dynastie Joseon estimaient que la porcelaine blanche incarnait l’esprit et l’âme du néoconfucianisme ». Nous y sommes. L’aboutissement de ces éléments et de ces savoirs tient dans le titre du livre, qui est aussi celui de cette prodigieuse réunion d’œuvres exposées au Grand Palais*.   

 

 

Sous la dynastie Goryeo (918-1392), l’art du céladon unit « la couleur du jade, la brillance lumineuse du cristal et la dureté de la pierre », selon les mots du poète Yi Gyubo. La splendide verseuse avec son anse en torsade dont la qualité permet de penser qu’elle pouvait être comme d’autres pièces de cette facture en usage à la cour, résulte d’une subtile association de formes de dragon, de tortue et de fleur de lotus. Les exemples de pièces dont la diversité calculée et l’élégance absolue témoignent de la richesse de la création des ateliers d’alors abondent. Ainsi des chrysanthèmes et des poèmes qui sont incrustés sur une bouteille au col élancé, ou bien de cette aiguière dont la silhouette évoque une pousse de bambou, ou encore de ce vase maebyeong dont la surface est parsemée de grues volant, légères et presque diaphanes au milieu de nuages aux contours curieux symbolisant des nuages, dans une telle liberté de mouvements que l’on a l’impression que l’espace autour d’elle est infini.      

 

 

Découvrir la production coréenne telle qu’elle est venue du National Museum of Korea est prendre un chemin qui mène à une culture du raffinement et à une esthétique d’enchantement. Il passe par les rites funéraires pour lesquels des pièces spécifiques étaient élaborées. Longtemps ignorée en Europe, car à l’inverse de ce qui se passait pour la Chine et le Japon, cette céramique n’était pas exportée, le pays s’étant fermé dès le XVIème siècle, il fallut attendre la fin du XIXème siècle, en raison de l’intérêt de voyageurs et de collectionneurs envers cet art puis le dynamisme économique et culturel au début des années 1980, pour qu’elle soit enfin connue et valorisée dans sa pleine dimension. On la mesure à cette occasion.

 

Dominique Vergnon

 

 

Kim Youngna, Dr. Koo Ilhoe, La terre, le feu, l’esprit, chefs-d’œuvre de la céramique coréenne, éditions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, avril 2106, 24,5x29 cm, 224 pages, 200 illustrations, 39 euros.  

(* jusqu’au 20 juin 2106).               

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