Entrer dans la maison de Jean-Jacques Henner

Au terme de plusieurs années d’une rénovation commencée en 2008, le musée consacré au peintre Jean-Jacques Henner est à nouveau ouvert. Il s’agit de découvrir ou redécouvrir la maison d’un artiste assez oublié de nos jours alors qu’il eut, comme c’est souvent le cas, une grande célébrité de son vivant en raison de la carrière officielle qui mena cet Alsacien d’origine et de cœur, né à  Bernwiller en 1829, de la Villa Médicis à l’Institut. Excellent dessinateur, formé aux Beaux-Arts à Paris, copiant comme il se doit pour l’époque les grands anciens au Louvre, Henner fait de l’Italie comme sa seconde patrie. Il obtient en 1858 à Rome le Grand Prix de peinture pour son tableau Adam et Eve trouvant le corps d’Abel



Durant son long séjour italien, il représente sur de nombreux petits tableaux les paysans et les paysages des régions qu’il visite. Ces travaux sont le reflet direct et spontané de son sens de l’observation et de son bonheur à être proche de la nature et en « communion avec la docte Italie » où, comme il le note, « il reste toujours une empreinte des maîtres ». Il se fait un nom avec ses portraits dont le nombre dépasse les quatre cents !

 

Mais on voit que son goût le porte avant tout vers ces corps de femmes nues, aux chevelures rousses, à la peau nacrée, aux formes voluptueuses et sensuelles dont la qualité des modelés souligne la grâce. Installées dans un décor vespéral et idéalisé de verdure et de frondaisons, une trouée de ciel bleu éclairant le haut de la toile et renforçant les contrastes de lumière sur leur chair, elles évoquent une manière de paradis originel et bucolique (La Source, Andromède ou encore Idylle). Pour reprendre un mot écrit en 1861 dans une lettre à Charles Goutzwiller, Henner est à son « affaire » en compagnie de ces naïades et de ces nymphes dont les poses discrètes mais allusives sont appréciés par sa clientèle alors qu’à partir de 1930 et pendant plusieurs décennies, cette peinture fut en quelque sorte épinglée par la critique pour ce qui « semblait relever du rabâchage académique». Un de ses modèles est Suzanne Valadon. Sarah Bernhardt, qui vécut non loin, déclara un jour : « Quand je m'arrête devant l’Églogue de M. Henner, je me repose devant ce calme, j’écoute cette musique et je m’enveloppe de poésie ».

 

Le nom de Henner reste attaché à un tableau devenu célèbre du fait de l’engagement patriotique et politique qu’il constitue au lendemain de la défaite face à l’empire allemand en 1870, L’Alsace. Elle attend. Il montre une jeune femme vêtue de noir, coiffée du traditionnel nœud alsacien piqué d’une cocarde tricolore. Elle dévisage le spectateur d’un regard franc mais attristé. Sa tête pâle fait écho à ses mains croisées, deux zones de clarté qui ajoutent à la sobre pose une touche de délicatesse. Dans Le Siècle daté du 31 juillet 1871, d’après Jules-Antoine Castagnary, Gambetta à qui le tableau avait été offert le montrait en disant « C’est ma fiancée ». Henner meurt à Paris en 1905.

 

La nouvelle présentation, reposant sur un accrochage de trois cents œuvres et comprenant outre les peintures, des objets et des documents, permet de suivre dans son ensemble l’existence de l’homme et le parcours de l’artiste, partagé entre les contraintes de la mondanité et son riche itinéraire créatif. Les réaménagements et les réhabilitations, tout en gardant son authenticité, donnent à ce lieu situé dans l’élégant quartier de la plaine Monceau, qui sous la IIIème République était au carrefour des modes et des cultures du moment, un caractère nouveau et accueillant, notamment par l’accès immédiat au charmant jardin d’hiver, illuminé par la nouvelle verrière. 



Passé le premier étage consacré aux principales étapes de la vie de l’artiste, une sélection de dessins est actuellement visible. Entre les rapides esquisses au crayon Conté et au fusain et les études achevées, pouvant être reprises dans des tableaux à venir, c’est le processus de création qui est ainsi dévoilé. On remarque notamment les techniques « noires » avec lesquelles la main peut « rendre le jeu des  valeurs » et « estomper ses traits ou les rehausser grâce à la craie blanche ou à la sanguine ». Après les deux étages d’exposition proprement dit, se trouve l’atelier gris.

 

Indépendant, à l’écart du mouvement impressionniste qui se lançait, Henner suivait sa voie réaliste et romantique. Cela lui vaut ce juste retour d’intérêt. Voilà une superbe et intéressante visite qu’accompagne cet ouvrage où chapitre après chapitre, est contée l’histoire de la maison et de son illustre occupant.

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Claire Bessède et Isabelle Magnan, Musée national Jean-Jacques Henner, de la maison d'artiste au musée, Somogy éditions d’art, 22x28 cm, 120 pages, 160 illustrations, mai 2016, 22 euros.  

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