L’arme savante de la Grande Guerre

Le 28 juin 1914 avait lieu l’attentat de Sarajevo. Un mois plus tard, le Tsar mobilisait ses troupes. Peu après l’Allemagne faisait de même puis la France et à son tour l’Angleterre.  Pour quatre longues années, l’Europe allait être en guerre. Plus de six millions de soldats s’affronteraient. Les pertes humaines seraient considérables, les destructions massives.

 

 

Bénéficiant des progrès constants réalisés au cours des siècles précédents aussi bien en matière de recul et de chargement que dans le domaine de la poudre et des projectiles, l’artillerie s’impose régulièrement comme l’arme décisive des batailles. Le couple tactique-technique auquel Napoléon avait eu recours dans ses conquêtes accomplissait un saut qualitatif sans précédent. En 1914 en effet, grâce à une formidable conjonction de talents entre les hommes et de capacités entre les matériels, on savait désormais aller plus loin - plus vite. Prenant appui sur la diversification des munitions, l’accroissement des portées, les nouvelles conceptions stratégiques, l’artillerie devenait « l’arme savante ». Parmi les nombreux facteurs de progrès dans cette course engagée entre les nations belligérantes, deux éléments majeurs sont à signaler car ils permettent de gagner en rapidité, fiabilité et solidité: le fait que le bronze soit remplacé par l’acier d’une part, que le chargement se fasse par la culasse d’autre part.

 

 

Dans le même temps, la mise au point de méthodes de pointage plus précises réduit la vulnérabilité et accroît, en raison de l’exactitude obtenue, l’impact des projectiles. Des instruments comme le sitogoniomètre et le curvimètre par exemple, facilitent les calculs des tirs. Entrent également en jeu la connaissance chaque fois plus poussée de la météorologie, de la balistique, des horaires, sans compter l’aide fournie à l’arrière des lignes par la population, en particulier féminine. Toute une économie tendue vers le soutien des troupes était au service des troupes du front. C’est ainsi qu’en 1918, 200 000 obus seront produits journellement rien que pour le célèbre canon de 75. Il s’agit là d’une pièce d’artillerie révolutionnaire, à tir rapide, dont l’obus peut atteindre 11 000 mètres ; elle est servie par 7 hommes et nécessite pour ses déplacements jusqu’à 7 chevaux. 17 500 canons seront fabriqués. Le 75mm, qui représente alors une fierté nationale, jouera un rôle essentiel dans la bataille de la Marne.

 

 

C’est un de ces canons qui, au début du parcours de cette exposition, accueille le visiteur. Malgré sa taille imposante, il semble minuscule à côté de la géante silhouette noire de la pièce de 340 qui se déplaçait sur voie ferrée. Une photo de 1914 montre les difficultés rencontrées par les « artiflots », tirant et poussant leur pièce de 75 sur une route montante. Venus de tous les lieux de France, appartenant à toutes les classes sociales, chargés simplement du maniement des lourds obus ou officiers dirigeant les manœuvres, unis et solidaires, ces artilleurs ont été au cœur des combats. Dans un de ces émouvants carnets de guerre que tant de soldats ont tenus au fil des jours, Marcel Penin, artilleur alors âgé de 25 ans, note ceci : « Nous sommes transférés en Champagne pouilleuse où nous allons effectuer une offensive qui mettra, nous l’espérons, un terme à cette guerre. Ça fait longtemps que j’ai quitté ma Bretagne, je commence à avoir le cafard. Pendant deux semaines, nous soutenons sans relâche les attaques de notre infanterie qui tente toujours de percer les lignes allemandes. Mais je vois tomber mes camarades, mes amis conducteurs qui nous apportent des munitions ; nos chevaux aussi payent un lourd tribut. Heureusement, j’ai reçu hier une lettre de ma tendre Colette qui m’a remonté le moral ». Il meurt le 3 novembre 1918. Pour sa part, transféré au service géographique de l’armée, le capitaine Emile Léon Schulz témoigne de son quotidien en relatant les différents aspects de ses missions de caractère scientifique, ses contacts avec un officier anglais, la relève constituée par l’arrivée des troupes coloniales dans son secteur. Pour sa part, André Lynen, formé à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers, exécute quantités d’études et d’esquisses qui s’avèrent précieuses pour renseigner les commandants de batterie. Ses observations de terrain et ses croquis panoramiques, au fusain et à l’aquarelle, sont autant de petits tableaux à la fois réalistes et poétiques. Quant à Gabrielle Savary, infirmière, elle mentionne les terribles blessures des soldats et note que « l’amputation est souvent la seule solution ». Au milieu de tant de risques, les éclats d’obus restent à l’évidence les plus dramatiques et les plus offensives des atteintes. Sur un panneau, différents types d’éclats sont accrochés comme en étoile. On pense à Guillaume Apollinaire, atteint à la tempe droite et évoquant sa blessure en forme d’étoile !

 

 

Lors de la bataille de la Somme, les pilonnages furent énormes. L’artillerie britannique provoqua un « déluge de feu » sur les troupes allemandes. Les Anglais possédaient le 13 et le 18-Pounder, dont la puissance de feu était supérieure au 75 mm français et au 77 mm allemand. Cette vaste exposition, parfaitement documentée, aborde ces sujets complexes d’un point de vue humain, ce qui la rend d’autant plus vivante et émouvante.

 

 

Dominique Vergnon

 

 

Johanne Berlemont, Gilles Aubagnac, Michel Rouger, Jean-Bernard Passemard et al., Un milliard d’obus, des millions d’hommes, Lienart éditions - Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, 208 pages, illustrations, mai 2016, 26x21 cm, 28 euros.

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.