Frits Thaulow, la nature célébrée

L’air, l’eau, la neige, le gel, le ciel, les arbres, la mer, la peinture de Frits Thaulow (1847-1906) est une célébration de la nature, dans la douceur comme dans l’âpreté, le jour comme la nuit, à la campagne comme au bord de la mer. Thaulow plante son chevalet dehors, en plein air. Il est sur le motif, au contact direct avec la nature. Les intérieurs ne l’attirent pas, ou peu. Ce qui l’intéresse : le passage des saisons, avec ce qu’elles sous-entendent de variations subtiles ou évidentes dans leurs manifestations.

 

Pour ce nordique accoutumé aux beautés que les grands froid conçoivent, l’hiver est la saison à décrire par excellence. Il ne le fait pas vraiment en impressionniste ni en symboliste, ni encore en naturaliste, « autant de dogmes que Frits Thaulow ne juge pas assez pragmatiques ». Il n’est pas non plus uniquement un réaliste qui rend compte de ce qu’il voit sans intégrer cette part nécessaire de sentimentalisme qui enlève du réel l’écorce brute pour en offrir une image un peu plus troublante et sublimée. Sans tomber dans le romantisme non plus. Il est lui-même, rude et sensible à la fois, attentif et libre, débarrassé des bienséances et des convenances, sociales ou artistiques. Il sait exprimer les sensations qu’il éprouve et en faire des affections que nous partageons. Au milieu des éléments qui composent un spectacle renouvelé, l’homme apparaît tel un personnage secondaire qui occupe la scène par intermittence, comme en retrait par rapport à eux. Quand les humains s’aventurent, ils sont réduits, en taille et en nombre. Sur l’huile sur toile de 1883, La Rivière Simoa en hiver (Modum), une jeune femme est assise dans une barque, seule entre les deux rives saisies de glace tandis qu’avancent les ombres du soir. De même les skieurs semblent-ils petits, comme une simple ligne vivante tracée à l’horizon dans le voisinage blanc des collines. Autre solitude, cette fois nocturne, celle de cette femme qui marche, silhouette coiffée de blanc et vêtue de noir (Le Soir à Quimperlé. Bretonne sur le pont). Perception du froid, transparence de l’atmosphère, présence du soleil, se saisissant de l’extérieur, l’artiste en a donc une approche vraie mais qu’il rend poétique en jouant avec éloquence sur les contrastes, les perspectives, plaçant une maison au toit rouge au bout des meules ou encore prenant pour premier plan des roches qui occupent les trois quarts du tableau, laissant apercevoir un peu de ciel au-dessus du village (Monticule rocheux, Kragerø).

 

S’il aime son pays natal, cet infatigable voyageur, cousin de Munch et beau-frère de Gauguin, ami solide de Rodin, chérit aussi la Normandie, la Bretagne, Venise, les canaux de Hollande. De Paris qu’il visite en 1874, année de la première exposition impressionniste, loin de l’ambiance des cafés, des salons et de l’agitation urbaine, il en retient le côté provincial, comme cet attelage qui avance dans la tranquillité de Montmartre, butte d’où se distingue au loin la ville enfumée. De la vie citadine, il en exprime le calme en adoptant avec une préférence marquée les charmes du soir, quand les fenêtres des maisons sont éclairées de lueurs dorées (Soir à Dieppe). La modernité que d’autres peintres de son époque dépeignent avec plaisir n’est pas son thème élu.

 

Sans aucun doute l’eau et ses mouvements incessants, ses reflets et « sa musicalité dans tous ses états » s’impose comme le sujet majeur du peintre. Elle coule effectivement partout. Que ce soit la mer, les vagues et les marées, le courant des rivières, la mare ou la flaque, elle occupe la toile, la domine, la fait vivre, le reste du décor n’étant plus qu’un faire-valoir de ses volontés. Par des cadrages habiles, par un savant jeu de touches aux tons multiples qui s’unifient, se dispersent, toujours fluides, personne ne rend la force du courant qui fait tourner les roues des moulins, la dynamique des remous et la transparence des ondes aussi bien que lui (Moulin à eau, 1892 ; Village au bord d’un ruisseau). Debussy admirait les peintres dont les tableaux lui suggéraient des notes, comme ceux de Degas, Whistler et Turner. Il incluait ceux de Thaulow. « J’aime presque autant les images que la musique» avait-il dit devant ses tableaux.

 

Présentée ainsi, commentée, expliquée, l’œuvre de Thaulow est une totale découverte. Inégale sans doute, comme tant d’autres, elle séduit peu à peu le regard et l’imprègne d’un bonheur particulier. De tableaux en tableaux, la personnalité du peintre prend son relief, témoigne d’une espèce de fusion avec la nature qu’il salue, défend et fédère dans sa manière de la traiter. La gamme chromatique de Thaulow se tient dans un registre à haute densité de bruns, de bleus, d’ocres, de verts. Ce qui frappe, c’est la présence de la lumière, qui ne cesse d’être la même et reste différente, froide, limpide, nette, par moments plus chaude, jamais éclatante, détaillant les sapins, les poteaux électriques (Vue de Jaeren), les mâts des navires dans le port de Revierhaven, les créneaux du pont Castel Vecchio à Vérone. Ce qu’on entend, davantage que des bruits ou des conversations, c’est la rumeur propre de la nature, du crissement de la neige au bruissement de l’eau. On ressent en voyant la soixantaine de tableaux réunis pour cette première grande rétrospective à la scénographie réussie et s’intègre dans la 3éme édition du Festival Normandie Impressionniste,  ce qu’il a lui-même ressenti dans son existence, « l’appel du large et de la grand-route.

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Frank Claustrat et Emmanuelle Delapierre, « Frits Thaulow, paysagiste par nature », Editions Snoeck, 191 pages, 150 illustrations, 28 x 22 cm, 28 euros

Musée des Beaux-arts de Caen

Jusqu’au 26 septembre 2016

www.mba.caen.fr

 

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