Philippe Comar, Peau de femme : peau de chagrin ?

Tout bon écrivain qui se respecte est forcément schizophrène : Philippe Comar réussit un tour de force, il s’est mit littéralement dans la peau de son personnage. Soit il a passé à la gégène sa compagne pour lui arracher ses moindres secrets, soit il est doué d’une double vue qui s’accompagne d’un joli brin de plume. Avec brio et un talent certain il nous plonge au cœur du problème. C’est elle – et bien elle ! – à n’en pas douter, qui revisite ces pages exaltées s’ouvrant par un tour du propriétaire aux multiples enveloppes : le corps apparent, le corps fonctionnel, le corps de transit, le corps amoureux et le corps d’épouse.

 

À vingt-neuf ans, la fracture apparente d’un basculement commence à se dessiner dans la psyché de cette jeune femme, si bien qu’elle panique au regard de la trentaine qui s’annonce alors même qu’elle ne sait toujours pas ce qu’elle veut. En couple avec un réparateur de grandes orgues, elle est toujours frivole. Elle ne peut pas se passer d’aimer, ne sait même pas pourquoi elle en a temps besoin : est-ce sa force ou sa faiblesse ? Est-elle enthousiaste ou en manque ? Trente ans, l’âge où tout va vous échapper… Intransigeante héroïne qui mélange tout dans sa prime candeur à céder au sentimentalisme. Ainsi, aimer donnerait des droits, légitimerait de questionner, intriguer, exiger, réclamer, geindre sans cesse ? Quand aimer devrait plutôt n’ouvrir qu’aux devoirs de veiller à l’être cher plutôt que de l’assaillir, l’étouffer, le museler, l’infantiliser, etc.

Ancienne soprano dont la voix s’est brisée trop tôt, la voilà professeur au conservatoire mais elle continue à chanter, pour elle, car le chant monodique « est semblable au fil de la rêverie, il n’est fait que d’instants qui se succèdent et naissent les uns des autres. Il possède la grâce du détachement. »

 

Détachée, elle nous apparaît en effet d’une extrême légèreté mais c’est aussi ce qui fait sa force, son charme, cette propension à demeurer au-dessus du volcan, semelles de vent survolant la mêlée, se jouant des bourrasques sociales et n’en faisant qu’à sa tête. Spécimen hardi à fort caractère, elle aussi porte son fardeau et cache son lot d’amertume quand elle doit subir les compliments de son conjoint (sic), endurer ses goujateries et se projeter au-delà de la frontière de la quarantaine qui la transformera, c’est désormais une certitude, en vieille masque qui sera abandonnée au profit d’une jeune chair…

Or elle se sait aussi frustrée, boulimique, exaltée, nymphomane, capricieuse, infidèle, compulsive, déçue, obsédée, fantasque, dangereuse… mais revendique cependant son épanouissement. Mais à trente ans ? Sera-t-elle toujours une femme résolument moderne ?

 

« Nous autres, femmes, nous ne cessons pas de bouder sans une grave et impérieuse raison, mais qui ne regarde que nous. »

 

Le Serbe va la retourner comme un gant : elle en ressortira disloquée émotionnellement mais surtout, longtemps après, la morsure de l’amertume s’invitera à la fête et ne disparaitra que par un excès encore plus grand. Le Serbe, sa drogue dure.

 

Elle se voyait porter un enfant tout en n’ayant aucune envie particulière, juste un caprice corporel d’une plénitude en devenir. Et petit à petit l’oiseau fit son nid et le désir devint obsession mais l’actuel compagnon ne pouvait être le père de son enfant. Lui, comme les autres mâles de son espèce, ne voulait que passer un quart d’heure entre ses cuisses – éventuellement recommencer quand cela lui chante – et, entre-temps, qu’on lui fiche la paix, qu’on le laisse s’amuser, télé ou console, bricolage ou jardinage… Le temps passant elle réalise combien le mâle est chose impossible, plus elle le côtoie et moins elle le comprend. Elle reste là, seule, avec tout l’amour inemployé qui est en elle, sans savoir qu’en faire. Alors l’idée de cet embryon, petite chose fragile qui pousserait en elle, lui appartiendrait en propre, fait son chemin… Comme si un enfant appartenait à sa mère. L’homme le sait, lui. Cet homme, ces hommes qu’elle découvre enfin, connaissent fort bien, eux, qu’au-delà de la mascarade du mariage l’arrivée d’un enfant, véritable coucou dans le nid, est un cataclysme qui détruit patiemment l’extrême fragilité de la magie amoureuse. L’intrus se joue à séparer le couple dès le plus jeune âge et n’aura de cesse de rendre la vie impossible..

 

Alors elle partira, d’autant plus confrontée dans son choix définitif après être tombée sur la cachette qui regorge de bristols annotés sur les critères physiques des ex de monsieur, avec force détails anatomiques sur le con de ces dames dont la lecture est un régal de précision lexicale.

Finalement, ne la désirait-il pas seulement parce qu’elle occupait l’une des cases de son jeu de l’oie et qu’elle s’associait à certaines combinaisons de ses fantasmes qui, coïncidence, parvenaient à s’imbriquer dans ses propres rêves à elle, si bien que cela fut prit pour une preuve d’amour.

Mais l’amour ne dure que trois ans…

 

François Xavier

 

Philippe Comar, Peau de femme, Gallimard, janvier 2015, 238 p.- 17,90 €


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