Philippe Torreton : Capitaine Conviction

Philippe Torreton est indubitablement un excellent comédien. Je le préfère dans sa peau d’acteur que dans celle de donneur de leçons qu’il endosse trop souvent. Mais, dès qu’il joue, rien à redire. Il s’imprègne en profondeur de son rôle, veille aux moindres détails et le rend convaincant sans exagération. Il n’est qu’à se souvenir du travail physique fourni pour le pourtant médiocre Présumé coupable pour s’en rendre compte. Malheureusement pour lui ses choix cinématographiques sont rarement couronnés de succès publics ; mais je crois que là n’est pas le plus important pour lui. Il prend, toutefois, le risque de se faire oublier des spectateurs c’est-à-dire de s’estomper progressivement pour finir par disparaitre.


En 2004, il avait publié au Seuil un livre de souvenirs. Je ne l’avais pas lu à cette lointaine époque (je savais à peine lire !). Heureusement la collection Points a la bonne idée de le rééditer en format poche. Ce qui me permet de combler une lacune.


Pour être sincère, je craignais le pire. Un Torreton qui, du haut de son piédestal, assénerait ses vérités à des lecteurs qui n’en demandent pas tant. Certes, il ne peut s’empêcher de faire comprendre que sa conception du métier est la seule valable, oubliant au passage que chaque acteur a sa propre personnalité et fait sa propre tambouille. Mais il n’a pas tort quand il vilipende les coupeurs de cheveux en quatre, les metteurs en scène (Mesguich, Bourdet et consorts) qui, à force de fouiner là où il ne faut pas, oublie la notion de spectacle et bascule dans un mortel ennui. Pas tort non plus de montrer du doigt ces comédiens qui n’en peuvent plus de se considérer comme des êtres supérieurs pour finir par n’offrir que des miettes de leur relatif talent comme s’ils savaient que leur filon était vite épuisable.


Hormis, donc, ces considérations sur ce métier qui est le sien, Philippe Torreton offre une belle surprise. Il parle de lui et des autres avec une revigorante franchise. Étant un adepte de la précision voire du pointillisme, il évoque ses moments de vie avec moult détails, narrant ses doutes, ses errements, ses hésitations et ses incompréhensions. Il raconte aussi les à-côtés de son métier qui passent, entre autres, par une sévère bastonnade dans un pays de l’Est !


Dans sa structure, l’ouvrage ne suit pas tout à fait d’ordre chronologique. Certes, s’y trouvent bien l’enfance (à Grand-Quevilly, qui ne donne pas l’envie d’être visité), les premiers pas de comédiens, l’entrée au Conservatoire puis à la Comédie-Française, ses vrais débuts au cinéma (sous l’égide de Bertrand Tavernier) mais tout cela est mélangé, entrecoupés de réflexions ou de simili poèmes tirés de carnets d’époque. Torreton laisse couler le fil de ses souvenirs et tant pis s’il doit parfois remonter le courant pour retrouver le bon cap.


Sa vision de la Comédie-Française (où il resta neuf ans) est conforme à celles de tous les acteurs qui sont passés par là. Personnellement, j’ai eu l’occasion d’en interviewer beaucoup et tous sont d’accord pour reconnaître que cette institution est une véritable pétaudière ! À se demander comment elle fait pour perdurer… Par petites touches et par grands coups de semonce, Torreton évoque les drames qui se nouent dans les coulisses et les triomphes qui se jouent sur scène.


Il parle aussi des tournages de trois films qui l’ont beaucoup touché : Capitaine Conan, L 627, Ça commence aujourd’hui. Encore et toujours Tavernier.


La plume est alerte, le style parfois appuyé est parsemé de notes d’humour. Au final cet autoportrait révèle un Torreton plus touchant, donc plus sympathique, que l’image publique qu’il donne de lui. Or, souvent, les mémoires d’acteur aboutissent à l’effet inverse !


Philippe Durant


Philippe Torreton, Comme si c'était moiPoints, novembre 2015, 255 pages, 6,90 €

Aucun commentaire pour ce contenu.