Elena Bonner et André Glucksmann, "Le Roman du Juif universel" : remarquablement informées des affaires de ce monde

Le titre est trompeur : il s’agit d’un dialogue entre deux personnes dont la vigilance à l’égard du respect des droits de l’homme, de la liberté et de la justice est notoire et qui, de plus, sont remarquablement informées des affaires de ce monde ; ce sont Elena Bonner, compagne de feu André Sakharov, et le philosophe André Glucksmann. Tous deux sont juifs, certes, mais leurs opinions pourraient être celles de n’importe quel esprit éclairé, athée ou religieux. 

 

L’intérêt de leurs échanges dépasse de loin la référence à la judaïté. Prenons un exemple : la force avec laquelle Bonner et Glucksmann dénoncent l’hypocrisie régnante sur la souveraineté des États qui, entre autres conséquences, fait que la Russie et la Chine se sont opposées à une intervention de l’ONU en Syrie et ont paralysé le Conseil de sécurité : « La Déclaration universelle des droits de l’homme, déclare Glucksmann, contredit la souveraineté absolue des États. […] C’est au nom du respect de la souveraineté nationale que la communauté internationale a toléré les tueurs du Cambodge ou du Rwanda. » Et, rappelle Bonner : « En 1975, à la conférence d’Helsinki, un […] accord adopté par 35 pays stipula que la défense des droits de l’homme est une affaire universelle. »


En d’autres termes, les pays qui s’en sont tenus au respect des codes du Conseil de sécurité de l’ONU auraient pu intervenir en Syrie au nom des accords d’Helsinki. La situation est la même qu’en 1933, quand Goebbels répondit à la plainte déposée contre l’Allemagne pour les persécutions contre les juifs, les catholiques, les pacifistes et les communistes en excipant de la souveraineté du IIIe Reich.

Mais ces choses-là sont rarement dites.

 

L’intérêt évoqué plus haut ne se limite pas à  de tels rappels : en témoignent des passages savoureux tels que la charge de Glucksmann contre Poutine : quand il « rencontre le président américain, il triture pieusement une croix donnée par sa mère ; quand il va en Corée du Nord, il réaffirme au petit dictateur local sa foi soviétique ; quand il visite les pays arabes, il loue l’anticolonialisme ; quand il est en France, il est antiaméricain… etc. ». Et, poursuit Bonner, quand les Américains lui demandent ce qu’il pense de Sakharov, il répond « par des dithyrambes dont je ne serais moi-même pas capable ! ».

 

Et l’on trouve aussi dans ces pages quelques rappels historiques peu connus sur le rôle des juifs dans les révolutions. Un beau livre : c’est un éloge qu’on ne fait pas à la légère.

 

Gerald Messadié

 

Elena Bonner et André Glucksmann, Le Roman du Juif universel, Éditions du Rocher, coll. « Les Grands destins », dirigée par Vladimir Fedorovski, octobre 2011, 257 p., 21,90 €

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