Christian Coigny : Photographier ce que l'on aime

Cet ouvrage dévoile quarante années d'un travail qui se situerait entre amour et pudeur, simplicité absolue et extrême habileté, cheminement vers les autres et route vers l'au-dedans de soi. Avec pour dominante la lutte contrôlée et en même temps libre et naturelle des contrastes.  Le noir et le blanc unissent plus que ces "sœurs incertaines " que sont la laideur et la beauté, ils s'allient pour composer un poème visuel où entrent à parts égales la puissance et la grâce des photos de cet artiste aussi classique que moderne. Puissance d'un ciel d'orage roulant au-dessus d'une vague qui déferle, grâce d'un profil que de fins cheveux encadrent. Sous une autre forme mais avec les mêmes composantes, comme le voyageur qui sous d'autres latitudes retrouve ses habitudes, frémit la puissance du désir sous la grâce qui courbe un corps féminin, s'oppose la puissance émotive d'un dos que rien ne cache à la grâce d'un bras qui cèle une poitrine. Ce jeu constant entre notes jumelles et harmonies contraires donne à chacune des photos signée Christian Coigny que réunit ce livre une tonalité particulière, une manière de culte rendu à la spontanéité évidente et au savoir totalement maîtrisé. De la nature morte qui obéit à une démarche préalablement élaborée à cette femme qui se penche pour sécher ses cheveux, l'espace de sensibilité est étroit et pourtant la distance de réceptivité est immense.

 

Le dénuement des décors est un parfait accompagnement à ces nus qui n'ont à leur tour besoin que de la plus élémentaire escorte pour les exalter, un tabouret, quelques couvertures pliées, un sofa, tous les volumes se fondant dans des dégradés de gris afin que chaque relief apparaisse plus marqué. Cet équilibre fragile et cet aplomb indestructible des choses se retrouvent dans les invitations renouvelées de l'objectif que pointe Christian Coigny tantôt vers l'intérieur tantôt vers l'extérieur. Identique proposition d'attention, mais en quelque sorte inversée. Ce promeneur solitaire sous la neige qui marche jusqu'au bout de la digue et peut-être de lui-même en cet instant, cette femme qui se tient droite comme une statue antique au-dessus de l'eau plus lisse qu'un miroir évoquent ces figures qui se meuvent dans le silence de la pièce où ne les atteint que l'œil du photographe, et donc le nôtre, invité à partager ces moments où le premier livre une méditation et le second s'abandonne à sa contemplation. Double appel dans un endroit résolument clos sur l'intime qui soudain prend une seconde dimension. Pour reprendre des mots du texte qui introduit avec beaucoup de justesse ces pages où n'interviennent ensuite que l'apaisement du voyage, l'attirance des images, la séquence des  souvenirs,  les lignes de démarcation entre les "apparitions fortuites" semblent évidentes et cependant elles sont ténues. Christian Coigny est parti "à la traque de l'origine de ses actes photographiques" comme il dit. Belle recherche, sans doute jamais achevée. Par ces 215 représentations, le lecteur est à son tour convoqué à entreprendre cette quête de sens et à inventer librement son parcours.

 

Dominique Vergnon


Christian Coigny, éditions Ides et Calendes, 29x30 cm, 252 pages, 220 pages de photos noir/blanc imprimées en duplex, novembre 2014, 59 euros   

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