Goncourt 2013 : Pierre Lemaître pour Au revoir là-haut

L'excellent ouvrage de Pierre Lemaitre vient d'obtenir le Prix Goncourt 2013 par six voix contre quatre à Arden de Frédéric Garden (Grasset).

Amoral, drôle, noir, profond, Au revoir là-haut de Pierre Lemaître explose les codes du roman sur la Grande Guerre.

Dans les derniers jours de la guerre  de 1914, le lieutenant Pradelle, qui souhaite ajouter quelques galons  à ceux qu’il a déjà, tue deux de ses hommes afin d’inciter leurs compagnons d’armes à partir à l’assaut des Allemands une dernière fois. Malheureusement, Albert Maillard, un poilu qui a tout vu se retrouve expédié par le même Pradelle  au fond d’un trou d’obus face à une tête de cheval en décomposition. Son heure est arrivée mais Edouard Péricourt un soldat de la même unité lui sauve la vie.

Edouard et Albert survivent au pire, mais dans quel état ! l’un est une gueule cassée, l’autre est dans un état moral et financier tout aussi précaire.

Démobilisés, ils se retrouvent sans un sou dans un pays qui ne demande qu’à oublier ceux qui ont fait le sacrifice de leur jeunesse ou de leur vie, tourner la page et s’enrichir. On les cache, on les rejette, leur solde étique ne leur est même pas payée, ils font revivre de trop mauvais souvenirs. Un soldat rentré du front a droit à 52 francs ou à un manteau de mauvaise qualité dont la couleur s’en va à la première pluie !

 Car la France des années vingt est celle de tous les trafics et de tous les intrigants. L’ex lieutenant Pradelle l’a bien compris. L’ancien chef impitoyable de Maillard et de Péricourt pour qui la guerre était un tremplin se lance dans un abject commerce de cadavres. Répondant à un appel d’offre national visant à regrouper les corps qui jonchent les anciens champs de bataille dans de grands cimetières militaires, il ne recule devant rien.

Calculant que s’il « vend » 80 francs à l’Etat, un cadavre dont l’exhumation ne lui en aura coûté que 25, il peut sans peine restaurer le château familial.

Les détails sont affreux : il n’hésite pas à commander les cercueils les plus petits possibles pourvu qu’ils soient les moins chers. Et qu’importe si les restes d’un poilu d’1mètre quatre vingt doivent se retrouver dans une boîte d’un mètre trente. Il n’en est pas à ça près. De toute façon, ce sont des Chinois ou des africains qui font la sale besogne. Et si d’aventure  les restes de 2 ou 3 cadavres se retrouvent entre les 4 mêmes planches, personne n’ira se plaindre.

Les deux rescapés quant à eux vivotent péniblement. Albert le velléitaire a un emploi, Edouard n’a plus que des souvenirs d’une époque où son visage était beau, les rapports avec sa famille exécrables et un talent certain pour le dessin et les caricatures.

Confiné dans un minable appartement, il va se remettre à dessiner inlassablement la tête du cheval qui les a rendus à la vie et à se reconstruire une existence avec la complicité de la jeune fille de la concierge. Retrouver les traits de caractère et l’apparence déjantée de la grande folle qu’il fut avant guerre grâce aux masques les plus fous derrière lesquels se dissimuler.

Seul il dessine des projets ahurissants de monuments aux morts que les communes lui commandent avec enthousiasme dans une grande course à l’émotion.

Albert prend part à l’aventure en tremblant. Ils ont trouvé leur revanche sur le destin avec cette arnaque extravagante car ils n’ont aucunement l’intention de livrer les stèles !

Dans ce roman, Pierre Lemaître décrit avec un humour noir l’horreur des tranchées dans les cinquante premières pages proprement stupéfiantes ; puis l’après-guerre.

Ces années folles qui le furent pour tout le monde mais ne profitèrent qu’aux escrocs sur le fond de commerce que fut  pour certains la Grande Guerre.

Au revoir là-haut est une fresque, un monument, un livre magnifique qui par son humour dépeint une société impitoyable dans laquelle les faibles sont écrasés tandis que les nantis s’enrichissent à la vitesse de la lumière. Une métaphore  de l’Europe écrasée  par la crise actuelle due à quelques traders aussi fous que les chefs militaires de 1918. Aussi dénués de sens moral et pas plus inquiétés qu’eux.

L’auteur, venu du  policier applique les code du genre à un roman dans lequel s’entrechoquent l’histoire, l’amitié, le désespoir, l’aventure avec une langue précise et travaillée. Il livre une épopée violente et désabusée, tendre et baroque. 500 pages de pure jubilation dans lesquelles rebondissements et trouvailles s’entremêlent sur un fond historique réel : l’ingratitude du pays au retour de ses soldats.

Il est rare de lire un livre d’un auteur français avec un souffle aussi puissant et le lecteur ne s’y trompe pas qui avale d’une traite ces presque 600 pages et en ressort pantois d’admiration, lessivé par une telle audace.

Brigit Bontour

Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, Albin Michel, août 2013, 570 pages, 22,50 €

Lire la critique de Mourad haddak

8 commentaires

c'est un roman magnifique, qui a un vrai souffle épique et plein de petites épines plantées avec bonheur : contre l'armée, contre l'état, contre les industriels, contre la bourgeoisie, contre tout ce qui écrase le peuple. C'est, à sa manière (belle et drôle) un grand roman social

anonymous

Mauvais livre, la scene dans le no man's land est ridicule,  les allemands cessent de tirer lorqu'Albert Maillard trouvent ses deux infortunes compagnons tués par le méchant lieutenant, passe de longues minutes de reflexion puis surgit le lieutenant qui pousse Maillard au fond d'un trou qu'un obus allemand (tiens ils ont recommencé à tirer) recouvre completement... passe par là un autre soldat qui s'arrete et prend le temps de le déterrer, tiens tiens les allemands ont cesser encore de tirer ... Et la suite on est dans le pays des bisounours , le mechant très mechant sera puni, personne ne saura spolié et patati et patata ...

Albin michel groupe hachette 30% du marché du livre et on se positionne pour un prix... Tiens c'est aussi le centenaine de la premiere guerre mondiale, soyons vite le premier à tirer, la comm est en place les critiques dans la poche et les boches ne tirent plus...
Pour les cinquantes premieres pages lisez ou relisez Ceux de 14 de Genevoix,
les croix de bois de Dorgeles ou A l'ouest rien de nouveau de Remarque lectures non-exhaustives mais les plus courantes pour comprendre ce qu'est le no man's land. A bon liseur salut

C'est un peu injuste de critiquer un livre prenant en lui opposant les anciens, les classiques et les incontournables. Certes Lemaître n'a pas lui-même connu le feu, et cela fait-il de lui un plus mauvais romancier sur cette période ? Si vous lisez bien, son propos, à mon avis, n'est pas de donner à l'homme de 14 une dignité et une humanité particulière, mais de montrer comment une société se détourne de ses enfants et comment les profiteurs toujours s'en sortent. Alors on serait plus chez Zola que chez Remarque, certes. Mais je ne vois pas en quoi ce roman a la médiocrité que vous lui trouvez. 

Un peu facile d'éreinter un livre sous le courageux pseudo d'"Anonymous" au prétexte que l'auteur n'a pas connu la guerre de 14 et que son éditeur anticipe la déferlante de livres à paraître sur ce sujet ! Pierre Lemaître est un grand romancier et son livre une parfaite réussite.

anonymous

J'ai adoré!
Que dire de plus , sinon que je me suis retrouvée dans les tranchées comme au bon vieux temps de ma jeunesse. Les obus, le feu, la pluie ,la boue , j'ai vécu çela par oui dire, c'était l'horreur toujours à recommencer.
J'ai vu Verdun en 1948, j'avais 4 ans. j'ai vu la tranchée des baïonnettes. Ces soldats enterrés vivant sous une vague épaisse de boue.
Bientôt nous allons commémorer la grande guerre, alors je vous dis Merci Monsieur Lemaître.
Je lis aussi "LES CRWES DINS LES BRUWERES" (les croix dans les bruyères)
en patois namurois. En Belgique aussi , nous avons eu notre lot d'horreurs.
A plus tard     Stéphanie. 
 

Pierre Lemaître obtient le Prix Goncourt 2013

anonymous

Acheté mercredi, dévoré et terminé hier matin.
J'ai eu vent de ce roman en écoutant une émission littéraire il y a une dizaine de jours. Ma passion pour tout ce qui touche à la "grande guerre" m' a irrésistiblement attiré vers cet auteur jusqu'alors inconnu pour moi.
D'abord le choix du titre, Au revoir la haut, m'a mis en confiance: ce sont les derniers mots d'un fusillé de 1914 (réhabilité en 1922) à son épouse ; j'aime qu'une injustice soit réparée...., et pour cette époque, il reste beaucoup à faire!
Ici la guerre est la vedette; enfin ses débordements, je veux dire tout ce qu'elle peut engendrer de violent, de moche, de sale. Aux tranchées putrides a succédé un monde plus putride encore, que Pierre Lemaître décrit sans concession.
Le plus cruel est le constat au fil des pages que ce monde là perdure de nos jours, laissant l'amère saveur de sacrifices inutiles avec ses mensonges encore plus gros, ses "affaires" tout aussi puantes ...
Derrière l'auteur de polar qui sait vous tenir en haleine jusqu'au bout, j'ai beaucoup aimé aussi le style, la justesse des analyses de caractères et l'implacable pamphlet contre les "élites" adoratrices du fric et du pouvoir qui les y mène.
Pour faire court, j'ai aimé: ça m'entretient la colère, celle que je nourris contre ceux qui ont exterminé impunément mes grands frères , français et boches, en en tirant gloire et fortune.

Un beau roman, social en effet Loïc. Humour et description des caractères formidables. Mais Goncourt téléphoné, très prévisible. Les devoirs de mémoire débordent de partout dans notre société, éprise d'autant plus du (des) passé(s) que bcp n'ont plus tellement foi en l'avenir. Cela n'enlève rien au mérite du roman qui est encore une fois très beau.