Pascal Leclercq : « le poème, qui sera ma mort même »

PascalLeclercqLire de la poésie, en 2014 ? N’est-ce pas aussi improbable que d’en écrire, voire d’en publier ? Être poète, en 2014 ? Le terme est prononcé avec une moue, doucement ironique, et un sourire de biais, « Lui ? Il est poète », et vous voilà propulsé dans une stratosphère bleue, devenu exception, décrété incapable d’exister comme n’importe qui, d’acheter un pain, de prendre un bus, d’avoir une carie ou des problèmes avec le fisc. « Lui ? Il écrit des poèmes », et c’est comme de dire « Lui ? Il lit des petits Mickeys » à l’égard de quelqu’un qui tiendrait dans les mains un album de Comès, de Pratt ou de Tardi.


Et puis, un jour, on en rencontre un. Et à la place d’un poète, on s’aperçoit qu’on côtoie un homme. Il se fait que cet homme écrit, oui, des textes qui lui viennent de très bas, des tripes, ou de très loin, de derrière la tête. Du cerveau reptilien, peut-être. De la zone des instincts, des réflexes, de tout ce qui désencombré. Matière première. C’est un homme qui lit en public, d’une voix grave et d’un métal tranchant à la fois, et sans se départir du ton narquois qu’induit sa prose. Qu’il induit à sa prose. Cet homme-là écrit parce que, pour lui, écrire revient à vivre. Pas mieux, pas différemment, pas plus intensément. Juste vivre, en le sentant. Respirer, écrire, marcher, être, jouir, toucher : des synonymes, pour lui. Il est poète, sans guillemets, dans l’évidence. Il faut l’avoir lu, entendu, pour le savoir ; et pas seulement sous prétexte qu’on a remarqué son nom au programme d’une soirée poétique ou déniché un jour, par hasard, un de ses recueils dans une boîte à chaussures de bouquiniste, et qu’on s’est rappelé, « Eh, je le connais, lui… »


Le poète, au Portugal, il peut s’appeler Pessoa, comme personne. Il peut s’appeler Michaux, comme presque tout le monde, à Namur en tout cas. À Liège, le poète s’appelle Pascal Leclercq. Depuis plus d’une quinzaine d’années, il mène un travail sur tout ce dont est fait la poésie : le langage, le souffle, la musique, le papier, le corps, l’image, l’ailleurs.


Aujourd’hui, il se passe les cordes vocales à l’hélium, le temps d’un journal apocryphe aux dates flottantes. Entre aphonie et logorrhée, il choisit l’empire du milieu, la mémoire blanche qu’il reste à combler. Il a écouté la drôle de voix que cela lui faisait, cette ventilation osée, puis il s’est assis sur un tabouret, devant son lopin de terre. Il a clairsemé les jours de quelques graines, il a regardé pousser, il a arraché et n’a gardé que la mauvaise herbe, celle qui a le plus de goût et de suc. Qui pique au palais. Le poème, c’est bien ce « fruit qui mûrit sans soleil », n’est-ce pas ?


Le poème de Leclercq va à rebours de tout souci didactique : c’est une poussée, un foret, parfois très court, de la dimension d’un aphorisme, parfois plus développé mais alors dénué de tout verbiage, juste enclin au partage d’un phrasé. « Ne jamais rien avoir eu à dire est peut-être le pire affront, la pire honte que j’aie dû essuyer. Une fois celle-ci bue, les mots sont venus simplement pour mieux m’en consoler, et s’il arrive qu’ils fassent sens, je refuse d’en porter une once de responsabilité. »

Ainsi, par le refus des postures du « mage » romantique ou de l’éminente conscience donneuse de leçon, Pascal Leclercq n’abuse jamais de la patience de son lecteur. Il se laisse écouter et, surtout, nous laisse nous écouter à travers sa tendre âpreté, ses constats bruts de décoffrage, ses vérités intimes, sensuelles ou organiques, qui sont si souvent nôtres.


Alors, poète, Pascal Leclercq ? Si vous y tenez. Avant tout, un homme en marge et en marche, qui a compris que s’abandonner sans condition à cette meute d’animaux noirs que sont les mots est le meilleur moyen de gagner leur estime, pour pouvoir aussitôt la leur rendre au centuple.


Frédéric Saenen


Pascal Leclercq, Hélium, illustré par Jac Vitali, La Dragonne, novembre 2014, 60 pp., 18 €.

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