Le livre d’Arthur Yasmine est porté par un élan  incompressible. Il fait surgir des processus organiques et lyriques d'où le corps et la poésie émergent. Cette dernière répond à la question « Comment faire dans la révolte pour que s’élève un consentement ? ».  C’est pourquoi elle ramène  en ses entailles à vif vers un savoir, englué, « embogué ». Celle qui fut déjà  « l’errante dans la nuit grecque » trouve  une ouverture en un retour à la quasi préhistoire du genre lyrique par excellence.  Le texte du jeune auteur déborde le lieu premier d’où la poésie naquit afin  de rendre visible ce qui se situe par delà la surface des choses. Et ce, selon un travail d'archéologie prospective. Chaque poème représente une surface minant les apparences à l’aide d’invocations incantatoires. Elles explorent nos trous de mémoire qui creusent des abîmes.

Chez Arthur Yasmine l’écriture devient donc l'instrument d'une volonté lointaine. Elle veut subsumer le rôle de la poésie que les faiseurs ont laissé capoter dans le tumulte ou le mutisme. Au dévers des surfaces tordues de la psyché, l'acte poétique ne représente plus une simple métaphore : il ouvre sur une autre scène et questionne le sens même de ce qui est écrit. Le poétique - entre les impératifs d’un savoir objectif et les turbulences de la subjectivité - devient une sorte d’anthropologie spéculative essentielle. Elle a le mérite de déposséder de prétentions superficielles pour rendre au monde le genre qui s’y noie peu à peu comme s’il n’était plus de saison. Il est repris à sa base en des rapsodies lyriques. S’y revendique une révolte de chien fou. Et c’est ce qui touche. Car à ce titre la poésie garde une belle occasion de ne pas disparaître en solitude « comme derrière un nuage fuligineux qui repousserait le reste du monde ».

Jean-Paul Gavard-Perret