À quoi ça rime, monsieur Kampianne ?

Oui, tout ce déballage, ce monde virtuel, ces lois scélérates, cette vulgarité, cette société digitale, cette répression policière, ces cols blancs à Davos… oui, monsieur Kampianne, à quoi ça rime tout ce cirque ?
Peut-être bien à rien, finalement, à rien de bien s’entant puisque cela ne sert que la caste, ces grands seigneurs de l’échange qui jouent avec nos vies ; alors, plutôt que de lutter contre des moulins à vent puisque le Marché est omniscient, omniprésent et surtout « invisible », rendons-leur la pareille d’un joli coup droit de la dérision. Dans ce match sans fin de la matérialité contre la spiritualité, laissons dans le caniveau notre vieille voiture rouillée, oublions le taux d’intérêt qui devrait nous inciter à nous endetter encore plus et marchons sur les nuages. Chausser des semelles de vent n’est pas si compliqué, suffit d’un bon état d’esprit, d’un peu de complicité avec la nature, d’aimer les bonnes choses, de conserver sa simplicité, et de savoir lire entre les lignes ; donc conserver son sens de l’humour est indispensable.

Harry Kampianne n’en manque pas, passez quelques heures avec lui et vous comprendrez, ou alors ouvrez son deuxième recueil de poésie (après Ex-Tensions) qui vient de paraître chez Tapuscrits.
Rythmés par les très beaux dessins de Fabienne Bourgeade, les poèmes cinglent, les zygomatiques plissent la peau, les yeux pétillent. Ce voyage est absurde, mais tout le reste ne l’est-il pas ? Il en va du coq en grève à la logique comptable (moins de chant et plus de poules) comme de cette roue de l’infortune, notre alliée pot de colle (oui, demain est un autre jour) qui plombe notre moral si l’on n’y prend garde.
Dans la droite ligne de ce que dit Michel Onfray (fin de civilisation, inutile de pleurnicher, plutôt boire les dernières bonnes bouteilles et jouir du peu qui reste), Harry Kampianne célèbre la dinde qui se tape le Père Noël et le loukoum qui se prend pour une guimauve. Métaphore à tous les étages, l’ombre de Jean-Baptiste Poquelin flotte entre les pages : chaque travers est retourné à l’envoyeur, la perspective élargie illumine le cocasse des situations tout en conservant l’humaine condition qui nous fait respirer…

…cet étrange visage à fleur de peau

 Mélange de suc et de vanille
De bois d’ébène et de pensée
Je l’ai vu fier comme un soleil
Mais si fragile au moindre éclair
Il y avait là sur sa peau mate
Ce rire d’enfant toujours présent
Derrière lequel coulaient parfois
Des larmes de sang et de misère
Fils du désert
Au cœur des guerres
Il jouait aux billes
Arme à l’épaule
Fils de l’Orient
Entre deux tombes
Il se savait mourir demain

 

Mais surtout, pas d’amalgame !
Les salopards sont du même bord mais surtout, pas d’amalgame, sinon vous deviendrez misanthrope, homophone, antisémite, raciste, macho, réactionnaire… Il y a donc de la gravité dans cette poésie qui n’est pas cynique mais dramatique, humour noir, certes, mais comme tout objet littéraire elle possède une petite voix off qui réveille l’âme du lecteur. Même si Harry Kampianne milite pour un carpe diem de tous les instants, il n’en demeure pas moins Homme, avec la majuscule, dont la dérision cesse devant le pire de nous-mêmes, du terrorisme aux turpitudes israéliennes, il est des sujets qui réclament une attention particulière dans le traitement.
Froissant le papier du superflu, sa poésie révèle la face cachée d’une humanité immature ancrée sur de fausses légendes, refusant la spiritualité pour verser dans les dogmes abscons… mais surtout, pas d’amalgame…

Critique d’art dans une vie professionnelle multiple, Harry Kampianne, en connaisseur, égratigne aussi l’art contemporain et l’avant-garde au rencard dont l’aura d’un espoir en miettes n’a plus guère d’écho. Mais qui s’en soucie puisque les élus s’enivrent du Baratin et que l’auteur, pudique, avoue en fin de volume que, finalement, en désespoir de cause, il vient d’enterrer le principe dans le lit de la préhistoire pour pouvoir, enfin, voler, le cœur léger et jeter l’anathème aux ordres de la bêtise.
Semelles de vent, vous dis-je, semelles de vent. Sinon, quoi d’autre ?

François Xavier

Harry Kampianne, À quoi ça rime…, Illustrations de Fabienne Bourgeade, Tapuscrits, mai 2016, 154 p. – 12,50 euros

Lire un extrait du livre.

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.