Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ? : Tortures animales

Faut-il manger les animaux ? La réponse à cette question est implicite, c’est un peu comme faut-il tuer son voisin ? Ou le chien de son voisin ? Non, il ne faut pas tuer son voisin, pas non plus tuer son chien et dans l’absolu, manger de la viande semble de plus en plus un acte à la fois barbare et totalement en rupture avec la réalité de notre petit monde furieusement moderne où nous nous agitons au milieu de nos milliards de congénères, provoquant chaque jour plus de dégâts. On reproche souvent aux partisans de la cause leur manque de cohérence, ils défendent des êtres qui ne pensent ni leur mort, ni leur destin, dénués de langage et donc dénués de conscience. On rétorquera que certains malades mentaux et les petits d’hommes sont également dénués de langage et donc de conscience également. Ah mais non, ce n’est pas la même chose, une vache et un humain, même sans cerveau fonctionnel, enfin, c’est pas pareil. Peter Singer a donné un nom à cette idée, le spécisme, une forme de racisme qui prend sa source dans l’idée que nous dominons le monde parce que Dieu l’a dit. Mais pouvons-nous encore tenir cette position ? Pouvons-nous nous satisfaire des réponses qui n’en sont pas, rappelant encore et encore que rien ne nous permet de dire que ces animaux souffrent vraiment ? Ou qu’ils sont malheureux ?

 

Comme beaucoup d’Occidentaux de classe moyenne ou bourgeoise, conscient des enjeux du changement climatique global et de la pression démographique et alimentaire très lourde pour notre petite planète, l’écrivain américain Jonathan Safran Foer s’est posé la question de sa consommation de viande. Question éthique, question à laquelle il est souvent urgent de ne pas répondre, ou de ne pas répondre tout le temps. Avec la naissance d’un enfant, les enjeux éthiques se posent souvent plus crûment, d’autant que les moyens de communication globalisés et extrêmement rapides nous confrontent à nos choix avec toute la brutalité requise. Comme toute personne dotée d’un minimum d’intelligence et de curiosité, l’auteur a donc décidé d’enquêter sur ce qu’il mettait dans son assiette et de prendre une décision claire à l’issue de cette enquête. Pendant trois ans, Jonathan Safran Foer a enquêté dans les milieux de la production et de l’abattage industriels, qui ont aujourd’hui un quasi-monopole sur le territoire américain. Il a également rencontré quelques éleveurs traditionnels qui se battent également pour trouver des abattoirs en accord avec leurs convictions quant au respect des animaux, une lutte constante car ces abattoirs sont quasiment insolvables au regard des conditions financières qu’imposent le respect de l’animal au moment de son abattage et de la découpe. Il a également rencontré des opposants historiques au marché de la viande et a fait quelques descentes avec eux chez les industriels. Pour éclairer son propos, il l’a replacé dans sa propre histoire. Une véritable étude, riche et factuelle, dont le parti pris est simple : vous voulez manger de la viande, libre à vous, mais regardez en face ce que vous mettez dans votre assiette, dans celle de vos enfants, ce que vous mettez dans votre corps et dans celui de vos enfants.

Certains témoignages sont presque insoutenables, tels ces hommes et femmes qui torturent les bêtes en toute conscience, juste parce qu’ils en ont le pouvoir et que le système finit par les rendre totalement fermés à la douleur et la barbarie. C’est à ce moment que le livre de Foer déçoit, car il n’ose pas pousser son propos et démontrer, à la suite de Tolstoï, que notre barbarie envers les animaux destinés à notre alimentation n’est pas juste le témoignage d’une « nécessité », mais bien la persistance d’une violence intrinsèque à l’espèce. L’industrialisation qui a transformé les artisans en ouvriers répétant à la chaine les mêmes gestes abrutissants a touché notre alimentation au milieu du XXe siècle ; le geste répété était celui de la mort et du dépeçage, pas très loin de la barbarie du geste sur les champs de bataille.

 

Le pire, c’est que ce modèle économique qu’on nous vend encore et encore comme le seul capable de faire vivre une humanité pléthorique est aberrant et scandaleusement dispendieux. Il faut, nous dit-on, toujours plus de chimie dans nos assiettes, repousser la nature de plus en plus loin au point de dénaturer le patrimoine génétique de tout ce que nous ingurgitons désormais, pour que tous les humains survivent. Avec quel résultat sur le patrimoine génétique humain ? Qui sait ? Par contre, on sait déjà que l’humanité n’est toujours pas nourrie dans sa globalité et que les disparités entre pays riches et pays pauvres se creusent. Que nous sommes toujours victimes de crises frumentaires, et que les prix des matières premières mais également des « matières transformées » (le bétail, la volaille et le poisson) est en augmentation constance. Alors que l’industrialisation était supposée mettre de la viande et du poisson de qualité dans l’assiette de tous.

 

Serions-nous une fois de plus les dindons de la farce ? Une fois encore, en accordant notre confiance aux experts et aux traditions, serions-nous incapables de comprendre par nous même ce qui est bon pour nous et nos enfants à moyen et à long terme ? Une chose est certaine, nous ne pouvons prétendre que nous ne savons pas, que nous n’avons pas connaissance de la torture et des risques sanitaires. Il ne s’agit plus d’un principe de précaution, mais bien d’un principe de responsabilité qui engage notre vision du monde. Ce n’est pas parce que nous avons le pouvoir sur ces animaux que nous avons le droit de nous comporter comme des barbares. Des millénaires d’évolution pour arriver au cerveau le plus gros et le plus complexe (en mangeant de la viande cuite, nous explique-t-on), et nous continuons à exterminer des espèces, à nous exterminer entre nous et à détruire notre seul et unique nid. Quelle classe !

 

Adeline Bronner

 

Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ?, traduction de Gilles Berton et Raymond Clarinard, Éditions de L’Olivier, janvier 2011, 362 pages, 22,30 € ; Points, février 2012, 7,70 €

 

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