"Polar": les œuvres au noir

Magnifique ouvrage que les Éditions de la Martinière dédient au polar et au roman noir. Adoptant de multiples axes transversaux et suivant des angles d’approche originaux, le travail de Clémentine Thiebault et Mikaël Demets permet de parcourir un panorama de papier que l’on pourrait sans difficulté qualifier de pléthorique.

Dès lors, il s’agit fixer des limites, chronologiques, géographiques et génériques, au domaine couvert, et elles sont ici très justement établies. Si elle plonge ses racines dans le fantastique romantique ou gothique et peut même être entrevue en filigrane des plus antiques tragédies grecques, la littérature noire n’en demeure pas moins fille d’une certaine modernité, et c’est avec le vénérable Edgar Allan Poe qu’elle va asseoir d’emblée une forme de légitimité. Tout les éléments qui garantiront le succès du genre sont déjà en germe dans des nouvelles comme Le Double assassinat de la Rue Morgue ou La Lettre volée, qui installent un cadre spatial, narratif et « atmosphérique » combien de fois réexploité par la suite.

Les noms défilent ensuite, de Conan Doyle à Gaboriau, de Christie à Hammett, de Pouy à Montalbán. Autant de façons de laisser planer ou de dissiper le mystère, autant de styles aussi. Polar permet d’accéder à cette diversité. La parole est laissée aux auteurs les plus contemporains, qui s’expriment, à travers de courtes interviews très efficaces, sur leurs pratiques créatives et leurs univers fictionnels respectifs. Les morts, eux, ont droit à des portraits bien brossés où se mêlent biographie et évocation de l’œuvre. On appréciera ainsi les pages, à chaque fois très finement senties, qui sont consacrées à des tempéraments aussi singuliers que Simenon, Ranpo, Thompson ou encore Cook.

Et puis, il y a cette foison de fiches thématiques, relatives à  un aspect précis de cette veine pas trop cave : le giallo italien, qui ne se focalise pas uniquement sur la mafia, loin s’en faut ; le polar et la guerre (passionnant) ; la porosité du genre avec la SF ou le western ; le catalogue des collections consacrées au polar et à ses dérivés ; les figures de la femme, de l’homosexuel, du condamné à mort, du serial killer, de l’espion ; l’évasion de la cellule ou du bagne, la fuite en avant à travers les grands espaces ou le séjour bien obligé à la morgue. Rien ne semble avoir échappé à la vigilance des fins limiers Thiebault et Demets, qui en ont profité pour déconstruire une série de tenaces clichés attachés à l’objet de leur passion. Et qui ont été entourés d’une équipe d’experts en graphisme, aux options infaillibles. Mesdames, à vous le Henry Fonda hiératique de la page 74 ; Messieurs, le regard envoûtant d’Ava Gardner vous darde page 126.  

Férocement inscrit dans son temps (même lorsqu’il le dégueule), Fantômas ubiquiste et insaisissable, irréductible hard boiled, le polar acquiert, grâce à cette somme, ses lettres de noblesse.

 

Frédéric SAENEN

 

Clémentine THIEBAULT et Mikaël DEMETS, Polar. Le grand panorama de la littérature noire, Préface de Caryl Férey, La Martinière, 225 pp., 35 €.

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