Le Dernier amour d'Arsène Lupin, inédit caricatural et inutile de Maurice Leblanc

Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? Certes. Mais, avec le Dernier amour d’Arsène Lupin, le flacon n’a pas seulement changé — il est désespérément vide. 
La silhouette d’Arsène Lupin qui se découpe sur la couverture ressemble bien plus à une caricature qu’à un portrait, mais c’est très bien ainsi.    Car, comme le dit très justement un lecteur dans un commentaire « amazonien », si la lecture du Dernier amour d’Arsène Lupin est un devoir pour les lupinologues convaincus, la politique marketing qui entend présenter ce produit comme un ouvrage destiné au grand public, comme un bestsellerqui s’inscrirait automatiquement dans la lignée de 813 ou de l’Aiguille creuse, est absolument aberrante.    À bien des égards, cette résurrection d’Arsène Lupin est un pétard aussi mouillé que l’avait été le comeback de Björn Borg. Longtemps, longtemps après s’être imposé sur les courts de Roland Garros et d’ailleurs comme l’un des meilleurs joueurs de tennis du monde, celui-ci voulut prouver qu’il était toujours aussi grand et participa de nouveau à des tournois. La presse fut en émoi. Pensez donc : l’artiste allait même disposer, pour ajouter quelques étincelles aux mille feux qui entouraient déjà son retour, d’un modèle de raquette totalement inédit. Las ! au bout de deux jours de compétition, la messe était dite. Quantum mutatus ab illo ! Björn n’était plus dans Borg.    On n’a pas de mal à imaginer la joie qu’a dû éprouver Florence Leblanc, petite fille de Maurice Leblanc, en découvrant récemment, sur la plus haute étagère  de la bibliothèque familiale, un dossier gris contenant une aventure inédite de Lupin. On n’a pas de mal à comprendre qu’elle ait voulu partager cette joie avec tous les amateurs des œuvres de son grand-père. Mais, ce faisant, elle n’est pas loin d’avoir commis une trahison — d’ailleurs à moitié avouée dans les pages de présentation qui accompagnent ce roman.    Certes, Leblanc lui-même avait inscrit sur la dernière page le mot « Fin ». Mais cela était beaucoup plus un vœu pieux qu’autre chose. En réalité, ce Dernier amour a tout d’une symphonie très inachevée, et Leblanc lui-même devait bien savoir que des rewrites seraient nécessaires avant que son manuscrit puisse être proposé à un éditeur. Malheureusement, la vieillesse, la fatigue, la mort l’empêchèrent de faire de ce brouillon autre chose qu’un brouillon.    Deux éléments au moins rendent la lecture de cet « Arsène Lupin » extrêmement frustrante. Il y a d’abord une monstrueuse confusion dans l’intrigue. Certes, comme d’habitude, on trouvera une femme mystérieuse. Comme d’habitude, Arsène Lupin se déguisera sous différentes identités. Comme souvent, les énigmes qu’il doit résoudre (ou qu’il crée) sont intimement liées à des secrets du passé (cf. l’Aiguille creuse). Mais tout cela vous est déballé en vrac et toutes ces ruptures qui voudraient s’imposer comme des rebondissements ne sont rien d’autre que la marque d’une narration terriblement décousue. Ce qui eût pu donner à celle-ci un peu de liant, c’est la tonalité gouailleuse, gauloise — au bon sens du terme —  de Lupin-Leblanc, toutes ces phrases ambiguës qui font que souvent l’univers de Lupin, officiellement ancré dans la réalité, se fait aussi contradictoire et aussi dérangeant que son titre de « gentleman-cambrioleur ». Rien de tel ici, puisque le texte est bien plus celui d’un plan, d’un scénario, qu’un récit en bonne et due forme (nombre de phrases sont rédigées au présent — ce qui n’arrive jamais dans les autres romans —, parce que ce ne sont guère plus ici que des didascalies). On rencontre même certaines brutalités, pour ne pas dire certaines vulgarités de style et de pensée qui jurent avec l’élégance traditionnelle de Lupin. Tout cela aurait très certainement été poli dans une version définitive, mais nous sommes condamnés à lire ce que Leblanc nous a laissé ici — du Leblanc sec.
    Cependant, était-ce vraiment une fatalité ? Il y a quelques décennies, Boileau et Narcejac s’étaient amusés à écrire des « Lupin » qui, paradoxalement, sonnaient beaucoup plus juste, beaucoup plus vrai que celui-ci. Eh bien, la tâche d’un éditeur responsable eût consisté à trouver aujourd’hui de nouveaux Boileau-Narcejac pour — comme on dit désormais si mal — « finaliser » le texte de Leblanc. Les étrangers ne répugnent pas à recourir à une telle méthode : The Assassination Bureau, roman inachevé de Jack London, a été terminé par Robert L. Fish ; les Italiens Fruttero et Lucentini ont, eux, complété l’Affaire D. que Dickens avait laissée en plan. Et, pour tout dire, même en France, le stendhalien Jacques Laurent n’avait pas craint d’imaginer une Fin de Lamiel.Impostures ? Point du tout. C’est à travers de telles « passations » que les Lettres triomphent du néant. Seulement, comme Arsène va très bientôt tomber dans le domaine public et qu’il n’est pas impossible que les pastiches se multiplient, les héritiers se sont peut-être dépêchés de presser le citron. Mais qu’allons-nous chercher là ?
FAL 

Maurice Leblanc, Le Dernier amour  d'Arsène Lupin, Balland, mai 2012, 17,90 euros

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