"Guerre sale" de Dominique Sylvain - Même si une guerre n'est jamais propre.


GUERRE SALEUne guerre n’est jamais propre mais elle peut être particulièrement sale surtout lorsque tous les coups sont permis. À n’en pas douter, le treizième roman de Dominique Sylvain en est l’illustration comme cela est annoncé sur la quatrième de couverture : toute notion d’humanité est éliminée. Un roman noir où l’auteur a su construire une intrigue ne laissant aucun répit au lecteur.

L’art de la guerre 

Florian Vidal, un avocat spécialisé dans les relations franco-africaines, a été assassiné d’une manière atroce : il a subi le supplice du père Lebrun, un pneu enflammé autour du cou. Sacha Duguin, tout juste promu commandant de la criminelle, est appelé sur les lieux et cette première affaire est explosive à plus d’un titre. D’abord parce que Florian Vidal est le protégé de Richard Gratien, maillon essentiel de la Françafrique pour le secteur de l’armement mais aussi parce que le mode opératoire du tueur rappelle celui utilisé cinq ans auparavant sur Toussaint Kidjo, de père français et de mère congolaise, lieutenant de police sous les ordres du commissaire Lola Jost. Cette dernière, bouleversée par ce meurtre jamais élucidé, avait anticipé sa retraite. Pour Sacha Duguin, Lola et son acolyte Ingrid Diesel, le lien entre les deux affaires ne fait aucun doute : chacun à leur manière, séparément ou ensemble, ils vont mener une enquête qui va les mener toujours plus loin dans la noirceur.


Quand la fin justifie les moyens

Avec Guerre sale, Dominique Sylvain revient à une intrigue plus simple mais aussi plus noire que dans ces précédents romans. Un retour aux fondamentaux qui est une réussite. Nous retrouvons ici les principaux protagonistes de passage du désir qui avait reçu le prix des lectrices Elle en 2005. Dans ce premier opus, Ingrid avait tout fait pour sortir Lola de sa retraite anticipée, décision qu’elle avait prise après la mort d’un collègue d’origine africaine, le lieutenant Toussaint Kidjo (1). Dominique Sylvain a décidé d’utiliser cette base et d’expliquer ce point resté en suspend. 
    
En toile de fond, quoi de plus noir et de plus sale que la françafrique avec ses trafics d’armes, les compromissions des politiques, leur corruption via les commissions et rétrocommissions. Un point de départ d’actualité faisant écho à l’affaire Karachi et l’occasion pour nous d’avoir une explication made in Lola des tenants et des aboutissants des ces histoires de gros sous : « Une rétrocommission, c’est la rencontre d’un énorme paquet d’argent et d’un effet boomerang. Admettons qu’un pays producteur d’armes veuille vendre ses missiles et ses avions de combats sophistiqués à des pays dans le besoin. Comment faire le tri ? Il est possible que le vendeur capable de proposer un petit cadeau en plus, une gentille commission, emporte le marché. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Une partie de la commission revient à la case départ […] et cette rétrocommission sert alors, par exemple à financer un parti politique ou une campagne électorale. Ni vu ni connu. » Et voilà, emballé, c’est pesé. Cette toile de fond est exploitée avec intelligence sans pour autant devenir central et effacer le véritable thème de Guerre sale : la vengeance. Celle de Lola qui cherche à retrouver l’assassin de son lieutenant, celle de Richard Gratien qui veut venger la mort de son favori ou encore celle de Toussaint Kidjo, lui-même, qui a trouvé la mort parce qu’il enquêtait sur celle de son meilleur ami, un journaliste africain assassiné à Kinshasa. Et d’autres encore. Si la vengeance est la fin, tous les moyens sont bons pour y parvenir surtout si cette dernière est un plat qui se mange froid. Et pour cela, chacun suit les préceptes de Sun Tsu : ces citations ponctuent l’action et ne font que renforcer l’atmosphère guerrière qui émane de ce polar. 

Les personnages sont poussés à leur limite. Attachants, ils sont capables du pire comme du meilleur. Même Lola, obsédée par Toussaint, en arrive à des moyens peu recommandables. Chacun mérite une attention particulière : Ingrid, l’Américaine déjantée qui gagne sa vie en faisant des stripteases et des massages, Lola, ex-flic à la Josiane Balasko, Carle, lieutenant frustrée et aux dents longues, Antonia Gratien, victime et femme fatale. L’ambivalence des personnages complète avec brio l’intrigue simple et pourtant puissante mise en place par Dominique Sylvain. 

Ce dernier n’hésite pas à ajouter une pointe d’humour : les anglicismes d’Ingrid et ses bourdes linguistiques (plonger dans les pommes) mais aussi des expressions et descriptions pittoresques : « sinon tu ne serais pas venu me renifler la mémoire » ou l’image de Lola dans un peignoir d’un autre temps, affalée comme un mégaloukoum dans son canapé. 
Guerre sale, polar qui ne laisse pas indifférent dont l’intrigue et les personnages nous entraînent dans la noirceur la plus extrême. 

Julie Lecanu

1) Dominique Sylvain, Passage du désir, éditions Viviane Hamy, mars 2004.  

Dominique Sylvain,  Guerre sale,  Editions Viviane Hamy
janvier 2011, 318 pages, 18 euros



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