Marc Dugain, "Avenue des géants" : meurtres et intelligence

Que faire de sa vie quand à quatorze ans, on mesure plus de deux mètres pour 130 kilos, que l’on est myope comme une taupe, que l’on possède un QI supérieur à celui d’Einstein ; quand de plus on est détesté de sa famille, de sa mère surtout qu’il a entendue dire : "Je suis la première femme à avoir fait une fausse couche menée à son terme" ? C’est le cas de Ed Kemper, rebaptisé Al Kenner dans le roman, un américain qui purge une peine de prison à vie.

 

Très vite le destin se montre hostile. Après de petits larcins, des décapitations d’animaux, il tue sa grand mère puis son grand père chez qui on l’a envoyé pour s’en débarrasser. Il prend la route vit intensément les grands espaces, "coupant les virages en espérant qu’une voiture ou un camion viendrait mettre un terme à une vie trop mal emmanchée". Ne s’étant pas tué, il se dénonce. Cinq ans d’hôpital psychiatrique avant de sortir déclaré sain d’esprit.

 

Il tente de rentrer dans l’armée : trop grand. Il est refoulé. Il continue son errance puis rencontre le chef de la crim’ de Santa Cruz, fasciné par l’intelligence du garçon et débordé par de nombreux meurtres commis dans ville. À l’époque des hippies le stop est un moyen de se déplacer très commun et de nombreuses jeunes filles au profil similaire disparaissent.

 

Kenner va "conseiller" le policier Duigan, de plus ravi du flirt entre le jeune homme et sa filLe qu’il devrait épouser

 

Rétrospectivement l’agencement du roman fait froid dans le dos. A rebours des polars classiques, le lecteur n’ose pas croire en l’évidence, ne veut pas que le tueur soit ce garçon démuni, intelligent, clairvoyant sur lui même et sa souffrance, suscitant même l’empathie. Accompagné d’une fille rencontrée par hasard, il intègre les nombreuses communautés hippies, à la recherche des disparues, fou de rage quand il voit les filles tapageuses qui lui rappellent sa mère.

 

Après une longue période, Kenner avoue tout à Duigan, abasourdi : Il est bien l’auteur des meurtres des filles, celui de sa mère également dont on retrouve la tête piquée de fléchettes sur la cheminée. Dans une scène poignante, le tueur réconforte le policier incrédule.

 

Une fois de plus, Marc Dugain s’intéresse à un personnage hors norme, un monstre mais surtout dans le cas de Kenner un être malheureux qui toute sa vie cherchera l’amour de sa mère elle même déséquilibrée. Qui de plus en raison de son intelligence ne s’est jamais leurré sur lui même et sait que la partie est perdue d’avance.

 

Avenue des géants est un livre fascinant, où la psychologie est bien plus importante que le suspens ou les meurtres. Il n’y a quasiment aucune scène de violence, aucune description de crime. Le mal est dans la tête de Kenner, il s’agit de le décrire sans pathos, presque froidement dans ce jeu d’échecs où tout monde est perdant. A ce jeu là, Dugain excelle et nous offre un roman puissant et désespérant.

 

Brigit Bontour

 

Marc Dugain, Avenue des géants, Gallimard, avril 2012, 360 p.-, 21,50 €

Sur le même thème

1 commentaire

Ce qui fascine dans ce roman, même si on sait tout d'avance, c'est le doute dans lequel Dugain nous laisse errer

Pour un portrait d'Ed Kemper, le géant débonnaire qui sert de modèle à Marc Dugain, accessoirement l'un des tueurs en série les plus célèbres, voir son portrait sur tueursenserie.org