Le Journal du Parrain — Une Enquête de Mike Hammer

Mike Hammer, toujours recommencé


Nouvelle inachevée de Mickey Spillane et terminée par son disciple Max Allan Collins, le Journal du Parrain est une petite chose qui ne manque pas de piquant.


C’est avec la phrase « Les flics débarquent toujours par deux » que Mike Hammer commence le récit de cette brève enquête intitulée le Journal du Parrain. Mais, trente pages plus loin, il fait également remarquer au lecteur que les truands ont la même habitude de débarquer par deux.

Cette obsession de la gémellité est sans doute à trouver dans le fait que les auteurs de cette nouvelle policière vont eux-mêmes par deux — à ceci près que leur complicité s’est poursuivie par-delà la mort.

Le jeune Max Allan Collins était un fan de l’écrivain Mickey Spillane — père spirituel du private eye que nous retrouvons aujourd’hui —, mais toutes les lettres qu’il lui envoyait pour manifester son admiration et son enthousiasme restaient sans réponse. Jusqu’au jour où il publia lui-même un premier roman. Spillane voulut alors rencontrer ce nouveau confrère. Les deux hommes, malgré la différence d’âge, ne tardèrent pas à devenir amis et à collaborer sur certains ouvrages, en particulier sur des comics. Quand, en 2006, Spillane mourut, c’est tout naturellement Max Allan Collins, effrayant polygraphe (v. sa bibliographie incomplète, mais néanmoins interminable sur Wiki) qui fut sollicité par les éditeurs pour mener à bien certains projets que Spillane, pour diverses raisons, avait laissés en plan. « Mickey… left behind a surprising number of unfinished manuscripts with substantial starts. »

It’s in the book était l’un de ces manuscrits inachevés offrant un point de départ intéressant. Lorsque meurt un parrain de la mafia, tout le monde veut s’emparer du petit livre dont il ne se défaisait jamais et dans lequel il notait, dit-on, toutes les informations grâce auxquelles il pouvait tenir ses troupes et asseoir son pouvoir. Les flics veulent ce livre pour découvrir les listes de mafieux qu’il doit forcément contenir. Les mafieux veulent ce livre pour que les flics ne trouvent pas ces listes. Les uns et les autres s’adressent à Mike Hammer parce que celui-ci avait à l’occasion travaillé pour le défunt. Non, il ne sait pas où le parrain a dissimulé son journal avant de mourir, mais il a, quand il fouille dans ses archives, quelques pistes à sa disposition. S’engage alors une espèce de petit road movie voltairien ou tout au moins chabrolien, évidemment ponctué de quelques cadavres, au cours duquel Hammer rencontre des individus souvent peu recommandables, mais chacun représentatif d’une classe sociale. On croisera entre autres un prêtre et un homme d’affaires.

Et le livre, alors ? Nous ne sommes pas ici au Masque et la Plume, et nous ne considérons pas qu’il est criminel de révéler la fin d’un film ou la conclusion d’une histoire quand on prétend en rendre compte, mais en l’occurrence Max Allan Collins observe scrupuleusement le principe hollywoodien selon lequel un bon scénario doit être tout à la fois unpredictable et unavoidable — imprévisible et inéluctable. Ce livre, vous n’auriez jamais deviné à quoi il pouvait ressembler, et pourtant vous ne connaissez que lui. Disons simplement que le Journal du parrain est, à sa manière, un hommage souriant rendu à la littérature, et que Max Allan Collins nous rappelle que le genre du roman noir n’avait pas attendu le XXe siècle pour exister.


FAL


Mickey Spillane & Max Allan Collins, Le Journal du Parrain — Une Enquête de Mike Hammertraduit de l’anglais (États-Unis) par Claire-Marie Clévy

Ombres noires, novembre 2015, 8,00€

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