Pottsville 1280 habitants, attention chef-d'œuvre


Un écrivain fondamental du roman noir

 

De Jim Thompson (1906-1977), on peut dire qu’il a raté le monde de son vivant pour mieux le conquérir mort ! Fils d’un shérif et d’une institutrice, il commence à écrire des romans noirs dans les années 40. Hollywood fait appel à lui à travers Stanley Kubrick et son producteur James B.Harris pour L’ultime Razzia : même s’il n’est crédité que pour les dialogues additionnels (pouffons), ce film lui doit plus au point que Kubrick lui fera cosigner le scénario des sentiers de la gloire. En 1966, Thompson signe Pop 1280, le roman que vous tenez entre vos mains, édité en France alors par la série noire sous le numéro 1000. Thompson meurt au mitan des années 70 et sa réputation, loin de s’éteindre, ne cesse alors de grandir.

 

Une réédition attendue

 

Pottsville 1280 habitants est donc un roman de 1964, publié initialement par la série noire en 1966 dans une traduction… tronquée (comme c’était alors la règle) de Marcel Duhamel (le créateur de la série noire, donc respect les jeunes) sous le titre 1275 âmes (pourquoi 5 de moins ? Mystère total, je renvoie à Jean-Bernard Pouy). Inutile dire que les amateurs espéraient que ce livre soit un jour retraduit : les éditions Rivages, animées par François Guérif (amateur inconditionnel de Jim Thompson) exaucent aujourd’hui ce désir.

 

L’éveil du… Tueur

Quelque part dans le Sud, à Pottsville, localité de 1280 âmes, exerce comme shérif un homme débonnaire, certes un peu simpliste, mais très accommodant : Nick Corey. Corey est débonnaire, sympathique, touche un pot de vin ici et là et réussit à flatter l’électeur pour se faire réélire. Mais Corey en prend aussi dans la figure : il est par exemple humilié par des proxénètes locaux… Aux ennuis de son travail de policier (corrompu) s'ajoutent sa situation conjugale, puisqu’il doit subir les vexations quotidiennes de sa femme Myna et supporter la présence de son beau-frère, obsédé notoire qui perturbe le voisinage.

Un jour, Corey en a assez et va voir son collègue Ken Lacey, shérif d’un chef-lieu du comté et celui-ci lui donne des conseils avec condescendance. Nick va les suivre, au-delà de toute espérance et sans vergogne, avec une efficacité qui va finir par lui donner le sentiment que le bon dieu est avec lui.

 

Un chef d’œuvre

 

Quiconque a lu The Killer inside me (bien adapté par Michael Winterbottom) reconnaîtra la prédilection de Jim Thompson pour les ploucs du Sud (injurieux ? Mais, chers lecteurs, pour moi, nous sommes tous quelque part des ploucs du Sud) et pour la description du processus psychologique qui mène un type ordinaire à devenir un tueur (en série). Il y a quelque chose de dérisoire chez Thompson qui ramène à la condition humaine la plus stricte : nous avons tous en nous quelque chose de Nick Corey, cet homme qui n’arrête pas de dire : «  je ne dis pas que tu as tort mais je ne dis pas que tu as raison non plus… ». Quelque part, Thompson est le frère caché de Robert Penn Warren et de William Faulkner. Il est donc plus que conseillé de (re)lire ce roman, dont la nouvelle traduction est vraiment un délice.

 

Sylvain Bonnet

 

Jim Thompson, Pottsville 1280 habitants, Rivages noir, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias, avril 2016, 272 pages, 8 €

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