"Le mal napoléonien", le retour de la gauche cafard

Critiquons Napoléon !

 

Napoléon suscite toujours la controverse ! Au printemps, l’ancien premier ministre Lionel Jospin a publié un ouvrage particulièrement violent contre l’ancien empereur, accusé des maux (politiques) qui empêcheraient depuis la France d’être une démocratie « normale » : le résumé peut faire sourire mais correspond en gros au propos de Lionel Jospin. Avant de critiquer l’argumentaire, il convient de souligner une chose : ce que écrit Jospin ne peut être écarté d’un revers de manche. D’abord parce que l’auteur du livre, doté d’une vraie culture politique, donne nombre d’arguments pertinents (trouvés ailleurs mais l’homme est honnête et cite ses sources). Ensuite parce qu’il faut être politique et polémique : Lionel Jospin a démontré ses capacités de leadership à gauche (à un moment où la question se pose vis-à vis de l’actuel chef de l’Etat) en étant chef d’une majorité de gauche (plurielle) et du gouvernement. N’en déplaise à certains, il est légitime (ce terme qui choque les gens de droite lorsque la gauche gouverne la France) pour questionner le legs napoléonien.

 

Critiquons Jospin !

 

Lionel Jospin, à aucun moment, ne se placera sur le plan de la tactique militaire mais sur le plan politique. Il accusera par exemple Napoléon d’avoir restreint les libertés publiques. Ou d’avoir démantelé le régime représentatif. Enfin last but not least (pour parler la langue de la perfide Albion !), Napoléon aurait discrédité les idéaux de la Révolution.

 

D’abord de quelles libertés publiques parle-t-on ? Celle du vote ? Avant le coup d’état de Brumaire, le directoire, par deux fois, ne respecta pas la voix du peuple (royaliste) et prononça des exclusions de représentants suspectés de désirer la fin de la République (dont Carnot). La constitution du consulat limite en effet le suffrage populaire mais il s'agissait du vœu des élites  et osons aussi dire une vérité: accorder le suffrage universel aux français d'alors aurait amené une majorité... royaliste.


Et quid de la liberté d’opinion me dira-t-on ? Il est vrai que Napoléon ne prisait guère la contestation, qu’il interdit nombre de journaux après Brumaire. Pour autant, peu de souverains antérieurs ont fait preuve d’autant de liberté en matière religieuse : Après la persécution envers les catholiques, il signa le concordat érigeant le catholicisme en religion du plus grand nombre tout en sauvegardant les droits des cultes protestants, traités sur un pied d’égalité. Envers les juifs, son attitude fut plus ambiguë mais, dans tous les territoires directement sous son autorité, il prononça l’abolition des anciennes discriminations.


Beaucoup d'historiens ont montré que la Révolution privilégiait l'unanimisme plutôt que le pluralisme dans le débat public. La démocratie représentative est bien en germe mais c'est sous la IIIe République, soit soixante-dix ans plus tard, qu'elle arrivera à maturité. Quand on lit Lionel Jospin, on a l'impression qu'il identifie la Ie République... à la IIIe: gare à l'anachronisme! 

 

La guerre extérieure

 

Napoléon fut-il un fauteur de guerre ? Reprenant une argumentation libérale et surtout contre-révolutionnaire (ce qui ne manque pas de piquant avec un socialiste), Lionel Jospin accuse le corse d’avoir été le responsable de toutes les coalitions montées contre lui. C’est pour le moins partiellement faux. Bonaparte, avant de devenir Napoléon 1er, a recherché la paix. La période du consulat est d’ailleurs marquée par de nombreux traités de paix (Lunéville avec l’Autriche, Amiens avec l’Angleterre). C’est l’Angleterre qui choisit la rupture pour des raisons géopolitiques : cette puissance ne peut accepter une puissance hégémonique en Europe qui occuperait le port d’Anvers. L’Angleterre financera l’ensemble des coalitions, à la recherche d’une épée contre la France hégémonique qui pêchera par son intransigeance envers les vaincus (Emmanuel de Waresquiel raconte magistralement les conditions du débat Napoléon/Talleyrand en 1805-1807) et  commettra l’erreur historique de l’intervention en Espagne (où Napoléon ne comprendra pas la guérilla). Or Lionel Jospin sous-estime dans son ouvrage ce rôle décisif de l’Angleterre dans le déclenchement de la guerre extérieure. L’ancien premier ministre a les yeux de chimène envers la « mère des parlements » mais rappelons encore une fois que la Grande-Bretagne n’était pas à l’époque une démocratie mais une oligarchie aux mains de grands propriétaires fonciers) dans le déclenchement de la guerre extérieure. D’un point de vue anglais, la guerre contre Napoléon prend la suite des guerres contre Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Elle est géopolitique avant d’être idéologique.

 

 

La descendance du bonapartisme selon Jospin

 

Ici commence le gros de la polémique car Lionel Jospin trace une généalogie politique du legs politique de Napoléon : trouvons d’abord  le neveu,  Napoléon III (une porte ouverte d’enfoncée) dont le règne est à jamais plombé par le coup d’état de 1851 et le désastre de Sedan (je renvoie aux ouvrages de Philippe Séguin et de Pierre Milza pour une appréciation plus juste de son bilan). La descendance devient ensuite moins glorieuse et plus hasardeuse  avec Boulanger (qui fut surtout financé par des banquiers royalistes mais passons), puis…Pétain (Jospin compare tout en soulignant les différences avec Napoléon mais alors pourquoi le faire dans les termes qu’il emploie ?). Enfin, au bout de cet arbre généalogique, voici De Gaulle (mais ce dernier, ayant restauré la République, est presque pardonné : Jospin le sage a oublié la hargne du jeune trotskiste Lionel, tant mieux). De Napoléon à Pétain, la ficelle est grosse. Pourquoi une telle hargne ?

 

Une partie de la gauche (même si Lionel Jospin est partagé sur la question) n’a jamais voulu de la prééminence accordée à l’exécutif par la constitution de 1958 accordée par De Gaulle. Cette antipathie rejoint le souvenir du coup d’état de 1851 du futur Napoléon III : la gauche républicaine en a gardé une hostilité viscérale envers le pouvoir personnel, souvent confondu avec la prééminence du pouvoir exécutif. Or  pour Jospin, c’est Napoléon le responsable… diable ! On entre ici dans un débat aux ramifications politiques, voire constitutionnelles ardues pour le néophyte. Jospin fournit ici un  argumentaire de poids aux partisans d’une VIe   République qui consisterait essentiellement en un retour au parlementarisme.

 

L’histoire est là dépassé par le poids des rancunes historiques et… Personnelles : Jospin a-t-il digéré d’avoir été battu en 2002 ? Il aurait alors gouverné selon les termes d’une constitution gaullienne voire… Bonapartiste : n’y-a-t-il pas une contradiction ? Vaste sujet. Lionel Jospin aurait cependant pu nous éviter cet ouvrage sentencieux, partial et donneur de leçons, caractéristique d’une gauche qui a déserté le terrain de la transformation sociale pour envahir celui de la morale. En bref, il est emblématique de la « gauche caviar » que nous, nous appellerons « gauche cafard ». A bon entendeur…

 

Sylvain Bonnet

 

Lionel Jospin, Le mal napoléonien, Seuil, mars 2014, 240 pages, 19 €

7 commentaires

Excellente chronique! bravo! Ce tissu d'âneries partisanes est magistralement démonté.
Je ne suis cependant pas d'accord sur le postulat de départ : Lionel J. me semble très mal placé pour donner des leçons d'Histoire .
D'où parle-t-il, en effet, celui-là? Est-il professeur d'histoire, historien, chercheur? Quelles sont ses compétences historiques autres que ses lectures personnelles ? Ce n'est pas parce qu'on feuillette le catalogue de la Redoute qu'on devient un pro de la VPC!  Seraient-ce les platitudes pseudo -analytiques et formatées apprises par coeur pour passer l'ENA?

Le fait d'avoir été Lambertiste de nombreuses années, donc de s'être mis le doigt dans l'oeil avec obstination, lui confèrerait-t-il ipso facto la profondeur de vues et la neutralité d'analyse sans lesquelles un ouvrage historique ressemble à un vulgaire tract du NPA? 

Son bilan personnel (très controversé quand même, même par ses amis) à la tête du gouvernement  lui donnerait -il une expertise  qui lui permettrait d'attribuer des bons points avec condescendance à deux types aussi extra-ordinaires que NAPOLEON 1er et DE GAULLE?


Serait-ce enfin un intellectuel de haute volée, un philosophe, une référence idéologique incontournable, un quasi-Jaurès?
On rigole doucement.

En fait ce livre n'est pas historique, il est juste politique. Mieux (ou pire) c'est juste une posture.
Politique, car il est manifestement au service d'une ideologie : n'est retenu dans l'histoire de France que ce qui conforte la thèse que l'on veut "prouver", procédé classique des politiques et essayistes français, et que l'on retrouve aussi bien dans les tracts anxiogènes des écologistes que dans les ouvrages sur le 11 septembre.
Posture, ensuite, car se "payer" De Gaulle et Napoléon (rien que ça), c'est se mettre quelque part à leur niveau, se grandir, se présenter soi aussi comme un mythe fondateur, se la jouer "autorité morale" incontournable. Gonflé, quand même.
On suggèrerait bien à cet historien de Prisunic un peu oublié, pour redorer son image  d'humaniste de gauche et pour qu'on parle de nouveau de lui dans les media, de faire passer au tribunal de sa petite histoire fantasmée d'autres pointures comme Nelson Mandela, Kennedy, et pourquoi pas, tiens, Jésus Christ?! Ca, ça serait révolutionnaire!!! Voilà qui ferait se retourner dans sa fosse commune son gourou-mentor Pierre Boussel, alias Lambert. Et après tout, va savoir, ça lui plairait peut-être, à l'ancêtre, de changer de posture, lui aussi...  Les postures,  ça donne des crampes , c'est bien connu...
 

Lionel Jospin tape sur Napoléon parce que c'est plus facile que de taper directement sur Sarkozy, qui se cache derrière cette image pas très originale (Patrick Rambaud l'a surexploitée par exemple).  Et faire croire que la Ve République est bancale parce que, 200 ans plus tôt, un génie a tout faussé, c'est un peu prendre les dirigeants des 200 années écoulées pour des abrutis stériles... 

100% d'accord....

Henri Guillemin doit être lu et relu. Ses conférences sur Napoléon, très édifiantes, sont disponibles sous http://www.rts.ch/archives/dossiers/henri-guillemin/. Jospin aurait du le faire pour être plus crédible.

Lorsque Mr Jospin discute de démocratie, il faudrait lui demander quelle type de démocratie entent il débattre, car, malgré les grands esprits qui sont intéresses par ce type de gérance, pas un seul a été capable de donner une définition exacte à l'une des 10 différents types de démocratie  toujours dans un tel vague qu'aucune d'elles puissent encore survivre long terme. Jospin se trompe encore, Napoléon n'a aucune responsabilité  dans les difficultés de la gestion  du type de démocratie contemporaine, ingérable par tous nos hommes politiques, dont l'auteur lui même, qui devrait rafraichir sa mémoire avant de mettre son nez dans un secteur de l'histoire pour laquelle il serait sage qu'il sache se taire

C'est Napoléon qui a créé la Banque de France. Oui, mais en tant qu'institution privée, pour engranger les bénéfices des financiers qui l'avaient porté au pouvoir (18 brumaire). Napoléon n'était pas sot. Il s'est très bien payé sur les plantureux bénéfices de la Banque de France. C'est De Gaulle qui la privatisera à la libération. 

@Michel: oui Napoléon n'était pas sot et les financiers qui l'ont soutenu (dont le fameux ouvrard) en ont été récompensés. Pour autant, il n'a jamais été leur créature (le fameux ouvrard a fait un séjour en prison après avoir sévi dans un trafic financier louche dans les colonies espagnoles). Quant à la banque de France, l'Etat l'a nationalisé en 1945, après qu'une loi de 1936 lui ait donné le droit d'en nommer le conseil d'administration.