"Barrière mentale", et si on revenait goûter à l'âge d'or?

Et voici donc une nouvelle livraison du Bélial’ consacrée à l’un des grands de l’âge d’or de la science-fiction, Poul Anderson. Barrière mentale regroupe le roman éponyme et 3 nouvelles contemporaines de sa rédaction, représentatives de la veine d’Anderson dans les années 50. Eclectique Anderson, capable du pire comme du meilleur ! Ce recueil reflète les forces et les faiblesses de notre auteur tout en rendant fidèlement l’esprit des années 50.


L’intelligence ne fait pas le bonheur !


Barrière mentale commence au moment où l’humanité, sous le coup d’un phénomène cosmique, dont elle ne découvrira l’ampleur que plus tard, voit son intelligence augmenter de manière exponentielle. Les génies deviennent des supergénies, les attardés acquièrent une intelligence normale, etc… In fine, toutes les structures sociales s’effondrent : comment gérer de telles intelligences ? Sheila Corinth, la femme d’un des personnages centraux, ne supporte justement pas cette évolution, génératrice d’angoisse devant l’existence. Les plaisirs « futiles » de la vie n’ont plus de sens pour les personnages super intelligents de Barrière mentale… Certains cherchent même à revenir en arrière mais sont contrés par leurs congénères, en outre désireux de les ramener dans le droit chemin.


Ce livre intéressant est une photographie de l’esprit sf des années 50 : les personnages centraux sont en majorité des scientifiques, rationnels, et baignent dans l’euphorie de la société de consommation américaine. Si notre auteur est loin d’ignorer, en peignant son intrigue, les désordres émotionnels liés à cette progression subite de l’intellect humain - le personnage de Sheila le montre, celui de son mari aussi - il fait cependant preuve d’un relatif optimisme quant à l’évolution humaine. Plus surprenant, il néglige une piste de son roman sur les animaux qui eux aussi progressent et semblent peu enthousiastes à l’idée de finir à l’abattoir, puis dans  nos assiettes. Mais Anderson n’est pas Pierre Boulle et il se concentre sur ces surhommes, loin de nager dans le bonheur… Un roman bien mené, un peu daté, auquel il manque un petit quelque chose (un grain de folie ?).


Un maître de la nouvelle


Quant aux nouvelles, d’abord une remarque bien personnelle : il aurait mieux valu omettre Les arriérés, rattachable thématiquement (et encore…) au roman Barrière mentale mais très terne et dépourvue du petit quelque chose d’excitant qui donne toute sa saveur au genre. Technique de survie est plus réussie en termes de construction : trois scientifiques réalisent le premier voyage dans le temps mais la technique suppose lors du transfert de rapatrier trois personnes lambda de l’époque d’arrivée. On voit donc trois Romains du premier siècle - dont une prostituée - débarquer, qui ne restent pas longtemps prisonniers de l’institut qui a financé ce voyage, et qui finiront actrice, mafioso, politique. C’est savoureux. Terrien prends garde ! est la meilleure du lot avec comme personnage principal un extraterrestre élevé sur Terre, doté de formidables capacités et qui rêve de retrouver les siens. N’est-il cependant pas devenu trop humain ? La chute, je n’en dis pas plus, est d’une efficacité remarquable.


Barrière mentale constitue un très bon aperçu de Poul Anderson. Le roman, déjà paru aux éditions du Masque dans les années 70, bénéficie d’une traduction remaniée et complétée - il faudra un jour dire un mot de tous ces auteurs américains massacrés par des traducteurs (et des éditeurs qui les employaient) soit négligents soit désireux de ne garder que « l’action » de ces romans populaires méprisés - et constitue un régal pour l’amateur. Cependant, une nouvelle comme Terrien, prends garde ! montre bien qu’Anderson était surtout un fantastique auteur d’histoires courtes - ou de novellas : on demande une suite à la superbe anthologie Le chant du barde car l’âge d’or de la science-fiction américaine a été  aussi l’une des périodes durant laquelle la nouvelle atteignit son apogée dans le genre. Enfin, coup de chapeau à Manchu pour sa superbe couverture : on n’achète pas seulement un livre de science-fiction pour sa couverture mais, quand on a biberonné à Siudmak et dans une moindre mesure à Philippe Caza, ça aide !

 

Sylvain Bonnet


Poul Anderson, Barrière mentale, traduit de l’anglais (US) par Alain Dorémieux, J. P. Izabelle, Roger Durand & Arlette Rosenblum et revu et complété par Pierre-Paul Durastanti, couverture de Manchu, avant-propos de Jean-Daniel Brèque, postface de Suzanne Robic et  Karim Jerbi, le Bélial’,  juin 2013, 330 pages, 19 €

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