Thomas Brosset, Prison de femmes : Pour s'être rebellée contre la violence masculine

Au-delà du fait divers


Thomas Brosset, journaliste à Sud Ouest, publie ce récit  Prison de femmes, en se faisant le porte-voix de Véronique Murcia ; pour avoir blessé mortellement son compagnon qui avait tenté de l’étrangler quelques minutes plus tôt, elle fut condamnée en 2012 à cinq ans de prison. Celui-ci la maltraitait et lui faisait subir un enfer à elle et à ses filles. Véronique Murcia a été placée en détention provisoire à Saintes pendant  de longs mois  ainsi que sa fille de 20 ans  à la  prison de Poitiers, elle était présente dans l’appartement lors du coup fatal :   parce que son beau-père lui hurlait qu’il allait finir sa mère,  elle l’avait déjà blessé avant que celle-ci ne le fasse mortellement.


Alexandra Lange pour des faits similaires a été acquittée par la Cour d’Assises de Douai (cf son livre Acquittée – J’ai Lu). Il n’y a pas eu hélas jurisprudence.


Aux assises de Charente Maritime, Véronique Murcia écope donc de cinq  ans fermes, les circonstances atténuantes de légitime défense ne sont pas retenues parce qu’elle a réagi, selon les jurés, quelques minutes trop éloignées de la tentative d’étranglement de son conjoint. Victime depuis tant d’années, Véronique est en état de sidération juste après l’étranglement qui lui a fait perdre connaissance un instant, elle revient à elle, entend son compagnon hurler sur sa fille, elle se relève et titube vers lui jusqu’au salon où il est affalé sur le canapé dans la pénombre, elle a saisi un couteau en passant devant la cuisine et l’apercevant bouger, elle l’enfonce au hasard,  elle expliquera au procès qu’elle ne voulait pas le tuer mais l’immobiliser afin qu’il ne puisse plus les frapper.


Prison de femmes n’est pas un récit larmoyant, ni Véronique Murcia ni Thomas Brosset ne cherchent le sensationnel, ils n’en rajoutent pas. Véronique Murcia raconte et décrit tout minutieusement, avant, pendant et après, les doutes, la soumission, la culpabilité, la douleur, les faux espoirs, l’enfermement psychologique, l’instant si bref où tout bascule pour elle lorsqu’elle passe d’état de victime non reconnue à celui d’accusée reconnue,  l’humiliation, le procès, la prison, la peur, les codétenues, la violence carcérale et l’immense douleur de l’incarcération provisoire de sa fille.


Véronique ne s’exonère pas de ses responsabilités ni de ses choix de vie mais relate les impossibles échappatoires à la violence de l’homme, à l’implacable jugement du tribunal et aux impossibles empathies. Si la solitude,  l’enfermement et la promiscuité la rongent, le manque de ses enfants la désespère, elle reste cependant une détenue exemplaire et docile, pleine de bienveillance pour ses codétenues aussi bien celles qui lui serrent le cœur que celles qui la dégoûtent parce que défilent dans sa cellule des femmes d’âges et de situations très diverses. Sa « bonne tenue » lui vaudra une libération anticipée mais le terrible verdict dont elle a écopé reste celui d’une société incapable de protéger les femmes de la violence des hommes mais prompte à les culpabiliser de n’être que de faibles femmes. Les conditions des prisons de femmes et les humiliations toujours inutiles infligées par l’administration sont désespérantes, elles ne peuvent en aucun cas aider à se reconstruire mais plutôt à engranger de la haine et de la rancœur. Cependant Véronique Murcia résiste à la dégringolade.


Il y a quelque chose de véritablement admirable chez elle, sa lucide honnêteté et son amour maternel indéfectible.L’expérience carcérale relayée sobrement par Thomas Brosset est quasiment un devoir de lecture.  Avec une double lecture (relations hommes/femmes et prison/justice)  et surtout bien au-delà du fait divers, ce témoignage nous questionne tous alors qu’en 2014 une femme succombe tous les 3 jours sous les coups de son compagnon.


Anne Bert


Thomas Brosset, Prison de femmes. D’après le témoignage de Véronique Murcia, Editions le Croît Vif, septembre 2014, 183 pages, 13 euros.

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