L’Hypothèse du désir, selon Leonardo Cremonini & Régis Debray

Régis Debray n’est pas le seul à être frappé par la peinture de Cremonini (1925-2010), qui attira le regard de nombreux écrivains qui n’étaient pas des critiques d’art. Par exemple, Moravia, pour qui cette peinture est souvenir d’enfance, ou Alain Jouffroy, pour qui elle est une narration sur la vie courante, ou Althusser pour qui elle est l’humanisme, description de l’inhumanité du monde, ou Umberto Eco pour qui elle est intrigue ambigüe, nœud sémiotique, machine à produire des interprétations, ou Marc Le Bot qui fait résonner ses désirs ou ses fantasmes dans les moyens picturaux développés par l’artiste… On le voit, il ne s’agit pas ici d’une peinture qui laisse indifférent, ni qui recourt à des effets de mode, mais bien à un medium artistique développé au fil des années pour tenter de mener à bien une quête d’absolu.

 

Il est assez rare, pour ne surtout pas oublier de le signaler, de voir peintre et écrivain se renvoyer le mot au bond, telle la petite balle jaune de la porte d’Auteuil au mois de juin, jouant ainsi tu tac au tac le rôle honnête de celui qui s’investit dans son œuvre, quête d’une réponse. L’écrivain se doit d’être prudent, bien choisir son mot, le lancer à la bonne hauteur sans trop de vitesse. Le peinture, déjà acculé par dessein à la métaphore, va donc oser plus, se découvrir, monter au filet pour tenter quelques coups de génie, car c’est à lui de démontrer où se tapit le beau si malencontreusement oublié en ces temps de consumérisme primaire. Tout en gardant à l’esprit la phrase de Baudelaire : Le beau est quelque chose d’ardent et de triste, d’un peu vague, donnant lieu à conjecture. On perd le premier set pour moins que ça…

La partie ira donc en cinq sets, avec les rebondissements que l’on est en droit d’attendre d’un si long échange : coup de fatigue, frénésie, hypocrisie, retour en forme… Oui, hypocrisie aussi, car qui va croire Cremonini quand il dit que si William Rubin, une fois directeur du MOMA, a vendu toutes les collections européennes, cela n’est pas grave car il a dû changer d’avis (sic), alors que l’on sait pertinemment que sa nomination était certainement assujettie à cette condition. Il n’y a pas que le marché de l’art, il y a surtout la guerre de l’art. Trop d’argent circule dans cette grande lessiveuse mondiale !



Cet anti-Warhol, qui avait pour outils de combat le pinceau, la peinture à l’huile et l’essence de térébenthine, aura sans doute été le dernier des Mohicans ; et son décès en 2010 marque bien la fin d’une époque dans l’art contemporain où, désormais, c’est le gigantesque qui prime, comme si agrandir, surdimensionner voulait systématiquement dire créer. 

Cremonini, en miroir des philosophes, marginal sans l’avoir cherché et méfiant face à une avant-garde un peu trop encline à systématiser son propos, prêchait la singularité : L’individualisme sans idéologie, c’est l’exhibitionnisme de l’éphémère.

Quelle lucidité !

 

François Xavier

 

Leonardo Cremonini & Régis Debray, L’Hypothèse du désir, Photographies de Corinne Mercadier, Biographie par Jacques Brosse, L’Atelier contemporain, mai 2015, 126 p. – 20,00 euros

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