Résumés et analyse des grandes œuvres de la littérature classique et moderne.

Le jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux : Résumé


Résumé : Le jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux (1730)

 

Ce que Molière a dit de l'amitié est bien plus vrai du mariage, ce lieu qui enchaîne l'un à l'autre deux êtres dont le sort est de ne pouvoir plus être séparés que par le tombeau.

Avec lumière et choix cette union veut naître ;
Avant que nous lier il faut nous mieux connaître,
Et nous pourrions avoir telles complexions
Que tous deux du marché nous nous repentirions.

C'est sur cette idée sérieuse qu'est fondée la pièce que l'on s'accorde généralement à regarder comme le chef-d’œuvre de Marivaux. C'est une épreuve imaginée par deux amans qui ne se sont jamais vus, et qui veulent se connaître réciproquement avant de s'engager dans une union indissoluble.

 

D'une pensée grave et utile sort, sinon le comique, du moins l'intérêt de l'ouvrage. Le comique est dans les détails et dans les moyens de l'épreuve, l'intérêt dans l'épreuve elle-même. C'est uniquement par cette double combinaison de la morale et de la gaîté que se soutiennent au théâtre les véritables comédies ; si, comme dit La Fontaine, la morale nue apporte de l'ennui, la gaîté qui n'est que de la gaîté, et qu'aucune instruction n’accompagne, s'évapore en moins de rien, et se résout quelquefois en tristesse, et tôt ou tard en indifférence.

 

Le hasard, il faut en convenir, entre pour beaucoup, pour trop peut-être, dans le plan. C'est assurément une rencontre bien fortuite que l'identité du stratagème inventé par Silvia et par Dorante. On a vu souvent, et rien même n'est plus commun dans le théâtre espagnol, employer un travestissement pour parvenir incognito auprès d'un objet aimé, s'assurer ainsi de ses dispositions secrètes, et acquérir la certitude d'un attachement pur et désintéressé. Mais que les deux amants aient recours à la fois au même artifice ; qu'ils se décident à passer pour leurs propres domestiques, et à revêtir un valet et une femme de chambre de leur nom et de leurs habits ; la chose est rigoureusement possible, mais elle est si peu vraisemblable, qu'elle peut être considérée comme un des jeux les plus extraordinaires de la fortune.

 

Marivaux avait trop d'esprit pour ne pas pressentir l'objection; il alla au-devant, et par la franchise de son titre, il eut l'air de la résoudre. Ne me reprochez pas, semblait-il dire à ses censeurs, d'avoir emprunté au hasard le principal ressort de ma comédie. Ce n'est point inadvertance, c'est préméditation de ma part ; j'ai voulu ce que vous me reprochez ; je l'ai avoué au public, que j'ai désarmé en le faisant rire. Ne soyez pas plus sévères que lui, partie intéressée et arbitre suprême du sort des ouvrages dramatiques.

 

Quant à l'amour, là, comme dans tout le théâtre de Marivaux, il joue son jeu avec adresse et avec bonheur, et, comme de raison, il gagne la partie. L'auteur s'y est pris fort adroitement pour lui assurer la victoire. Il s'est bien gardé de mettre en tête-à-tête Arlequin et Silvia. Toute la place est réservée à Silvia et à Dorante. Les balourdises du valet, son langage grossier, ses manières ridicules, eussent trahi, à la première entrevue, le secret de la comédie. Une fille bien élevée, spirituelle, douée de sentiments nobles et délicats, n'aurait pu s'y tromper. À travers sa friperie, elle eût reconnu d'un coup d'œil l'agent d'une ruse de guerre parallèle à la sienne, et la mine eût été à l'instant éventée. Il n'en est pas de même de l'intervention de Dorante sous un habit de livrée. Un laquais peut avoir bonne mine, une jolie tournure, sentir vivement une passion, et trouver dans son cœur les moyens de l'exprimer avec chaleur et même avec élégance. Silvia peut donc être surprise, et n'être pas pour cela désabusée.

 

Dans cette situation, que doit-elle dire ? que doit-elle faire ? Ne pas être émue par la déclaration d'un homme qui ne viole aucune convenance, puisqu'en s'adressant à la fille de la maison, il croit parler à son égale ; d'un homme qui réunit à un grand fond d'amour et de sensibilité les avantages brillants de l'extérieur et les qualités d'un esprit cultivé ? Mais un tel effort est-il dans la nature ? Non, sans doute, et Marivaux était descendu trop avant dans le cœur des femmes, il en avait sondé trop savamment les plis et les replis, pour s'égarer dans ce labyrinthe où elles ont quelquefois elles-mêmes tant de peine à se retrouver. Néanmoins, en cédant involontairement à une émotion qu'il ne dépend pas d'elle de maîtriser, l'auteur a soin de nous la représenter s'indignant de sa faiblesse, et luttant pied à pied contre les progrès de son amour. Aussi, qu'elle est fière et heureuse lorsque Dorante se fait connaître ! comme l'exclamation qui lui échappe :

Ah ! je vois clair dans mon cœur, la montre réconciliée avec elle-même, et l'élève à ses propres yeux ! Silvia a raison de le dire, elle avait grand besoin que ce fût là Dorante.

 

Toutefois, ce Dorante qui s'est fait aimer sous son indigne travestissement, sera-t-il assez dévoué à l'amour pour sacrifier les préjugés qui semblent élever une barrière insurmontable entre une soubrette et lui ? Telle est la question qui reste à résoudre, et qui rend nécessaire la prolongation d'une comédie qu'un seul mot devrait naturellement terminer. Vous êtes Dorante, et moi je suis Silvia ; nous nous aimons, nous avons le consentement de nos parents ; que faut-il de plus ? Mais l'épreuve ne paraît pas encore assez forte à Silvia. Elle veut la pousser jusqu'au bout. L'amour triomphe, il a comblé l'intervalle des rangs. Silvia se déclare; le hasard et l'amour ont été à l'envi favorables aux deux amants.

 

« On voit, dit un célèbre critique, combien un pareil fond doit être riche en situations intéressantes. Marivaux a bien su en profiter ; il a surtout égayé la scène par le contraste comique des valets déguisés en maîtres, et des maîtres déguisés en valets. Ce genre de comédie, quoique romanesque et très inférieur à la peinture des vices et des ridicules, est cependant préférable au tragique bourgeois, à ces drames absurdes pleins d'aventures extravagantes. Il y a du moins une sorte de vérité dans ces mouvements du cœur ; il en résulte des situations qui peuvent s'allier avec le comique ; l'esprit, la délicatesse, le sentiment y dominent. Cette espèce de comique a son prix, et peut tenir son rang, sur la scène, après les bonnes pièces de caractère et d'intrigue. C'est peut-être même celle qui convient le mieux à l'état actuel de la société, de même qu'au talent de nos auteurs et de nos acteurs. » Pour entendre les mots que j'ai soulignés, il faut se rappeler qu'ils ont été écrits en 1802, époque où il n'y avait aucune liberté au théâtre ni dans les écrits. Il eut été dangereux de peindre les ridicules de l’époque, et les mœurs d'une société qui, après une dissolution totale, se recomposait avec effort, au gré d'un pouvoir naissant et par conséquent ombrageux.

 

[M. Duviquet. Œuvres complètes de Marivaux, 1830]

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