La route étroite vers le nord lointain, de Richard Flanagan : Voyage au bout de l’enfer

En 1942, le Japon qui croit pouvoir gagner la guerre décide d’attaquer l’Inde, joyau des Britanniques, par la Birmanie. Pour cela, il lui faudra construire une voie ferrée pour acheminer les soldats de la Thaïlande. 9000 prisonniers étrangers seront affectés à cette construction, surnommée sobrement « La Ligne », mais aussi « La voie ferrée de la Mort ».

 

Choléra, dysenterie, famine, mousson, violence, exécutions : les prisonniers asiatiques, européens ou américains sont les nouveaux esclaves de ce projet pharaonique. Le livre de Pierre Boulle Le pont de la rivière Kwai traitait déjà du sujet. Ici, nous suivons Dorrigo Evans, chirurgien colonel, dont la lourde charge est de soulager les hommes qui meurent par centaines. Avec courage, il affronte l’autorité militaire japonaise pour tenter d’améliorer la vie de tous et opère avec parfois… une seule cuillère et aucun anesthésique !

 

Devenu un héros national chez lui en Australie, cet homme discret, mais tourmenté se retourne sur un épisode tragique de sa vie et de ceux dont il avait la charge. Comment résiste-t-on à la barbarie ? Pour certains, ce fut la puissance des souvenirs heureux, pour d’autres, le baume de la poésie, quelques dessins arrachés à la cruauté des gardes, ou encore la fraternité qui a tenu en respect le désespoir.

 

Richard Flanagan, l’un des écrivains les plus brillants d’Australie signe ici un roman lyrique et puissant qui lui valut le Booker Prize en 2014. Il entremêle les voix des victimes et celles de leurs bourreaux sans jamais juger ou haïr ces derniers et cherche l’étincelle d’humanité dans chacun. Et l’on arrive à comprendre le sentiment du « devoir » supposé des Japonais envers leur Empereur et la construction de cette voie ferrée. La langue est chatoyante, poétique à l’extrême, à l’image de ces haïkus qui égaie le texte et dont le titre, magnifique, est tiré. L’auteur déploie toute la palette de son immense talent, mélangeant les périodes de la vie de Dorrigan, passant de l’histoire d’amour qui le lie à la femme de son oncle, Amy, à la boue de la jungle et du camp où les hommes cherchent à survivre un jour de plus.

 

La conclusion fait songer à Docteur Jivago. Après tant de souffrances, le retour au pays de ces hommes suffira-t-il à réparer les vivants ? La liberté aussi peut avoir aussi un gout amer comme le découvriront les forçats de cet épisode encore méconnu de la Seconde Guerre mondiale. Un grand livre, un de ceux qui nous rendent meilleurs.

 

Ariane Bois

 

Richard Flanagan, La route étroite vers le nord lointain, Actes Sud, janvier 2016, 430 pages, 20 €  

Aucun commentaire pour ce contenu.