Kakuzo Okakura, "Le Livre du thé" ou l'idéal zen infusé

« L’idéal entier du théisme est l’aboutissement de la conception zen touchant la grandeur que comportent les plus petits incidents de la vie. Le taoïsme a fourni la base des idéaux esthétiques, le zen les a rendu pratiques. »

 

 

A la fin du XIXe siècle, le japonisme est à son apogée. Tous les arts en sont imprégnés mais demeure un hiatus inconciliable entre les cultures orientales et occidentales. Celle qui construit de bois et celle qui construit de pierre s’opposent en bien des points, mais vont se rejoindre par la grâce d’une boisson, la plus répandue au monde actuellement, le thé. De nombreux ouvrages sur le thé on déjà paru, du magnifique Classique du thé de Lu Yu (1) aux récits de voyage des hollandais. Il faudra attendre cependant Kakuzo Okakura et son Le Livre du thé pour qu’une vision globale — esthétique et religieuse — du thé soit proposée à l’intelligence des occidentaux, dans son acception la plus pure et aboutit qu’est le théisme : « religion de l’art de la vie ». 

La consommation du thé est ancestrale en Chine, et connaît pour sa préparation trois grandes périodes : d’abord bouilli, puis battu et présenté sous forme de meules, puis enfin infusé. Okakura rappelle cet historique, le développement du thé dans toutes les régions de la Chine des lettrés jusqu’à l’introduction du thé au Japon, sous forme d’un cadeau des plus précieux, puis dans l’occident, mais il va surtout s’intéresser au culte du thé au Japon, sa patrie. S’il écrit en anglais, il faut admettre que son œuvre de « vulgarisation » est avant  tout une défense et illustration de la culture japonaise, comme un discours à quelques lettrés anglais dans une docte assemblée par le prisme du théisme — il y a notamment quelques prises de positions et quelques mises au point piquantes qui permettent les progrès qui ont été réalisés depuis lors dans la connaissance et la reconnaissance de l’Orient et du Japon en particulier.

 

L’art du thé ne consiste pas en l’élaboration d’une boisson mais, par les rituels qui y concourent, à se trouver en harmonie avec le monde et avec soi-même, conformément aux principes zen, qui sont, pour l’auteur, le moment le plus abouti de la pensée orientale. Les différents rituels, les ustensiles, la construction à la fois précaire et équilibrée de la Chambre de thé, la porte d’accès trop petite forçant chacun quelque soit son rang à se pencher avec humilité pour y  entrer, la disposition des fleurs, des œuvres d’art, le nombre même des invités répondant à quelque anciens poèmes, tout concourt à faire entrer le maître du thé dans un état supérieur de relation au monde, par la simplicité et le naturel durement acquis de son apprivoisement. Les grands maîtres du thé mettent autant d’élégance à enseigner qu’à vivre, et, pour tout dire, à être eux-mêmes une représentation de cet aboutissement, tout en gardant une épure rare :

 

« La simplicité et le purisme de la chambre de thé sont le résultat de l’émulation inspirée par les monastères zen. »

 

Ce petit livre, riche de maints enseignements, est une réflexion magnifique sur la culture japonaise dans son expression la plus pure et la plus aboutit, car elle commande à toutes les autres forçant chacun à se dépasser pour atteindre au niveau d’excellent requis par les maître du thé.

 

 

Loïc Di Stefano

 

Kakuzo Okakura, Le Livre du thé, traduit du l’anglais par Gabriel Mourey, Rivages, « petite bibliothèque » n° 481, avril 2015, 139 pages, 5,10 sur


(1) Réédité en mai 2015 chez Rivages / Poche

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