Brassaï, Grenier, Paris la Nuit

 

Paris fut pour Brassaï "sa" ville, même s’il s’en éloigna. Ce n’est pas le cas de Grenier, éternel flâneur des deux rives et qu’importe  « si  les Parisiens ne sont pas aimables du tout, on s’en rend compte tous les jours dans les rues ». L’auteur - à l’inverse de ceux qu’ils croisent près de la rue du Bac ou Sébastien Bottin (rebaptisée Gallimard) - est le plus « aimable » (au sens de Montaigne) des hommes. Il reste un écrivain bien trop méconnu. Il est vrai qu’il refuse les honneurs et le bicorne pour lequel des écrivains  secondaires tueraient (métaphoriquement) leurs alter ego  pour l’obtenir.
Il garde comme  maître, grand frère et ombre tutélaire celui qui, contrairement à lui, détestait Paris : Camus. Grenier n’oublie pas une des premières phrases que l’auteur de  "l’Etranger" lui adresse : « Je ne te laisserai jamais tomber ». Et l’auteur de préciser « Je connais peu de gens qui pourraient dire une chose pareille. Il ne m’a en effet jamais laissé tomber ». Grenier fit de même avec Brassaï.
Sa correspondance avec le photographe le prouve même s’il demeure tel qu’il est : peu disert. Brassaï et son épouse y sont plus bavards. Mais il est vrai que ces échanges épistoliers n’étaient là que pour combler les absences du couple. La correspondance est précédée de « Brassaï est les lumières de la ville », un des plus beaux essais écrits sur le photographe. Certes le photographe ne révélait pas ses secrets mais Grenier les soupçonne tout en mettant les points sur les i sur des racontars colportés sur le photographe et qui furent parfois de pures calomnies.

L’auteur explique la genèse de ses photos nocturnes de Brassaï, sa capacité à trouver des solutions originales  et « parfois saugrenues » pour capter prostitués, clochards ou autres sujets. Il prouve en élargissant son approche que  la photographie reste à ses yeux « l’art qui ment le moins ». Du moins quand un Brassaï s’en empare.Le photographe a pris ses photographies les plus emblématiques de Paris au moment où la ville faisait la transition entre la Belle Époque et l' époque moderne et transformation du gaz à la lumière électrique. Son travail met en lumière la profondeur de la nuit en tant que sujet. Il y capte - à travers les coulisses des théâtres,  les clubs secrets et les bordels privés - la ville non des amour romantiques mais clandestines. Les photos grouillent de travailleuses du sexe, de gangsters et de toute vie marginale que l’exposition « Paris by night » met en évidence au sein de photographies demeurées inédites.

Jean-Paul Gavard-Perret

Brassaï & Roger Grenier, Correspondance, 1950-1983, Gallimard, Paris, 2017
Brassaï : Paris by night, Edwynn Houk Gallery, New York, jusqu’au 27 octobre 2018
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