Dix jours "polonais", périple d'Henri Raczymow sur la terre de ses ancêtres, et retour.

DEPOLONISATION

Henri Raczymow est allé en Pologne. Et il en est bien revenu.
 

« Ce qui est vivant s'achemine constamment vers la mort,
mais veut, même mort, continuer à régenter les vivants. »
Martin BUBER
 
Ayant retrouvé il y a deux ans le Paris de Marcel Proust (éd. Parigramme), Henri Raczymow s’est sans doute dit qu’il était temps pour lui de devenir le lecteur de lui-même et de retrouver sa Pologne ancestrale, sinon natale. C’est son pèlerinage qu’il raconte dans Dix jours « polonais ». Livre bref (une centaine de pages), pour diverses raisons, mais essentiellement parce que, comme l’indiquent d’emblée les guillemets inclus dans le titre, le pèlerin n’a pas trouvé la Pologne qu’il attendait, à savoir la Pologne juive. C’est bien simple : il y a en tout et pour tout deux cas de figures, suivant les endroits. Ou bien la judéité a été totalement effacée ; ou bien a été créée une judéité d’opérette, « de style juif », mais en fait totalement goy. Les patrons et le personnel des restaurants polonais cacher ne sont pas juifs pour deux sous (s’ils l’étaient, afficheraient-ils sur leur vitrine le mot cacher en caractères aussi gros ?). Les musiciens qui prétendent jouer de la musique klezmer ne produisent qu’une « cacophonie yiddish ». Et même les Auschwitz Tours, qui renvoient aux horreurs de l’Histoire, sont organisés comme des Paris by Night…

H.R. est triste et las : il était venu là pour retrouver de l’authentique ; il ne découvre que du toc. Mais le lecteur doit-il compatir ? La déception de l’auteur n’est-elle pas due au fait que le grand vide polonais le renvoie à un double vide intérieur, qu’il a d’ailleurs le courage d’avouer avant même d’entamer le récit de son voyage : 
  • 1. son nom, Raczymow, n’est pas un nom polonais, mais un nom polonisé, un peu comme on américanisait à Ellis Island les noms d’immigrants trop compliqués à prononcer ; la famille, donc, est passée par la Pologne, certes, mais elle n’est pas d’origine polonaise ; 
  • 2. le narr-auteur comprend peu à peu que, malgré tous ses efforts et toutes les ressources d’Internet, il ne retrouvera pas, à son retour à Paris, la femme avec laquelle il vivait il y a quelques jours encore.
En fait, la Pologne de Raczymow est un paysage choisi. Choisi comme un miroir lui permettant sans doute de se mieux comprendre, mais le conduisant — c’est le piège avec tout miroir ! —  à ne pas voir le miroir lui-même. Car à sa déception face à la nourriture « de style juif », on pourrait opposer l’émerveillement et les rires du violoniste Itzhak Perlman et de ses compagnons américains ou israéliens débarquant eux aussi en Pologne dans le documentaire Itzhak Perlman : Ballades en pays klezmer (diffusé il y a quelques mois sur Ma Planète) : ils sont surpris, ils sont contents, ils n’en croient pas leurs yeux et leurs papilles — quel bonheur pour eux de trouver une cuisine aussi juive là où ils n’attendaient que de la cuisine polonaise ! Si Raczymow veut être déçu, c’est son affaire. Mais il ne voit pas qu’il y a une autre manière d’écrire l’histoire. Il ne voit pas, alors même que son livre est souvent très drôle dans le détail, l’humour de la situation. Certes, rien ne fera oublier le fait que la quasi-totalité des juifs polonais a été exterminée pendant le seconde guerre mondiale, mais n’y a-t-il pas une revanche éclatante dans le fait que leurs rôles soient aujourd’hui repris par des gens qui, dans certains cas, avaient pu contribuer à leur extermination ? Des marranes à l’envers ! Il y a peut-être ici une réincarnation qui nous ramène à la légende juive du Dibbouk, qui veut que l’esprit d’un individu puisse revivre dans le corps d’un autre. Guy Konopnicki (alias Konop tout court quand il écrit pour la Série Noire) a écrit sur ce thème un polar très fin intitulé Pas de kaddish pour Sylberstein, dans lequel on découvre qu’un nazi a, pour échapper à la justice, pris l’identité d’un rabbin. Mais il a appris si bien son texte et connaît si bien les rites juifs qu’on peut à bon droit se demander si l’âme du rabbi n’est pas venue en douce s’emparer du corps du nazi…

Ici encore, peut-être, Graecia capta ferum victorem cepit.

FAL

Henri Raczymow, Dix jours « polonais », Gallimard, avril 2007, 102 pages, 11 euros
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