Dernières nouvelles de Jerzy Kosinski


Un roman de Janusz Glowacki  fait revivre la mémoire de Jerzy Kosinski (1933-1991), l’écrivain le plus romanesque du XXe siècle – ou le plus improbable…

 

« Souviens-toi que plus on s’éloigne de la vérité, plus on se rapproche de Djerzi ! » dit-on à Janusz, qui écrit, à la demande d’un industriel allemand, le scénario d’un film sur feu le célébrissime auteur de L’oiseau bariolé (1965) – mais il se dit avec de plus en plus d’insistance que le dénommé « Djerzi » Kosinski n’en aurait pas été l’auteur...


Vingt-six ans après son sacre planétaire pour un roman qu’il n’aurait pas écrit, dans la nuit du 3 au 4 mai 1991, à New York, Jerzy Kosinski entre dans sa baignoire pleine d’herbes avec un sac en plastique enroulé autour de sa tête, non sans avoir pris la précaution d’avaler des barbituriques et de l’alcool – il ne laissait jamais rien au hasard...  Juste avant, il avait téléphoné à une amie, la chanteuse de jazzz Urszula Dudziak : « Je te rappelle quand je me réveillerai »…

« Djerzi était un grand mystificateur, cependant les démons dont il sentait en permanence la présence étaient bien véritables et une nuit, ils l’ont cerné dans sa baignoire de la 57e Rue » écrit le dramaturge polonais Janusz Glowacki au sujet de son compatriote dont il tente, après Jérôme Charyn (Jerzy Kosinski, Denoël, 2011), de reconstituer le trouble parcours. Emigré aux Etats-Unis après l’instauration de l’état de siège en 1981, J Glowacki a vu ses textes mis en scène sur les planches de Broadway. Moins d’un an après son arrivée à N.Y., la renommée internationale de son illustre prédécesseur Kosinski s’achevait sur un scandale retentissant.

 

Un drôle d’oiseau…

 

« L’écrivain » ( ?) connu sous le nom de Jerzy Kosinski était est né Jurek Nikodem Lewinkopf en 1933, dans le Vieux Monde, à Lodz, d’un père philologue et d’une mère pianiste de nationalité russe. Il avait étudié l’histoire et les sciences politiques, travaillé comme assistant à l’Académie des sciences (ainsi que pour la police secrète ?) avant d’émigrer aux Etats-Unis en 1957.


Devenu universitaire grâce à une bourse (Fondation Ford, Guggenheim), il accède à une célébrité planétaire avec la publication de L’oiseau bariolé, l’histoire d’un enfant-oiseau rescapé de la Shoah : « Jerzy Kosinski » venait de naître. Mais « Djerzi » parlait à peine l’anglais dans les premiers mois de son arrivée... Ce best seller est suivi d’une douzaine d’autres comme Les Pas (consacré par le National Book Award en 1969), La présence (1971), Cockpit (1975) ou Le Jeu de la passion (1979), propulsant « l’auteur » de sommet en sommet…


Dès son arrivée, le jeune Polonais publie, sous le pseudonyme de Joseph Novak, L’avenir nous appartient, camarades et Il n’y a pas de troisième voie, deux « essais-reportage » en Union soviétique dont le soviétologue Richard C. Hottles se porte garant dans les colonnes de la New York Times Book Review – même d’éminentes personnalités comme Bertrand Russell (1872-1970) et le chancelier Konrad Adenauer (1876-1967) se font abuser… Le problème, c’est que « Djerzy » n’a jamais mis les pieds en URSS… Ces deux opuscules, dus sans doute à la plume de charitables « traductrices », lui donnent l’occasion de rencontrer la multimillionnaire Mary Hayward Weir (1915-1968), veuve du roi de l’acier Ernest T. Weir (1875-1957) : en 1960, elle l’engage pour faire l’inventaire de sa bibliothèque privée.


Le 11 janvier 1962, le petit juif polonais émigré de vingt-neuf ans quitte son logement minuscule pour épouser « la neuvième femme la plus riche d’Amérique du Nord » et s’installer dans son immeuble-palais au740 Park Avenue – l’une des adresses les plus prestigieuses de ce temps...

Après la mort prématurée de Mary  (tumeur au cerveau, cocktail d’alcool et de médicaments ?), le virevoltant jeune homme de proie épouse Katherina von Fraunhofer (1933-2007), consultante marketing et descendante de l’aristocratie bavaroise.


Ami du cinéaste Roman Polanski, Kosinski accède à une célébrité de rock star, apparaît dans une centaine d’émissions télévisées et joue même un second rôle dans Reds (1981), le film de Warren Beatty inspiré par la vie du journaliste et militant communiste américain John Reed (1887-1920).


 En 1982, il anime même la cérémonie de remise des Oscar – c’est son dernier triomphe sur la scène internationale...

Cette année-là, un article du Village Voice titré Jerzy Konsinski’s tainted words (« les mots souillés de Jerzy Kosinski ») émet l’hypothèse que l’éminent professeur de littérature anglaise (Princeton et Yale) et ex président (1973-1975) de la section américaine du PEN Club n’aurait pas écrit  L’oiseau bariolé...


Il n’aurait pas davantage été l’auteur de La Présence, que Hal Ashby (1929-1988) avait porté à l’écran sous le titre Bienvenue Mister Chance (1979) – Kosinski aurait emprunté sans modération à une de ses lectures préférées de jeunesse, Kariera Nikodema Dyzmy (1932) de feu son compatriote Tadeusz Doleya-Mostowicz (1898-1939) – un ouvrage qu’il nie avoir lu... « Il y a comme un malaise autour de toi » lui glissent ses proches de moins en moins nombreux – le narrateur a été de ceux-là…

 

« La vérité amère de cette terre »…

 

Le masque du prétendu « expert » en littérature anglaise tombe et celui qui tutoyait les sommets devient « un vampire littéraire ». En République des Lettres, les vampires, toujours pressés de paraître pour des œuvres qu’ils n’ont pas pris le temps d’écrire, sont monnaie courante – une pitoyable menue monnaie de singe plus trébuchante que sonnante qui pourtant a toujours cours en République des lettres dévaluée... Outre un masque faussement avenant, ils arborent souvent une position d’ « intellectuel » (de préférence émargeant à l’Université…) tout aussi usurpée que leur incertaine réputation littéraire. « Djerzy » était toujours prompt à se pavaner dans les médias pour des romans qu’il ne s’était pas donné la peine d’écrire ( tout juste s’était-il donné celle de naître dans un village perdu de Pologne…) : où en aurait-il trouvé le temps entre mondanités à gogo et matchs de polo à gogo, équitation, clubs échangistes et autres parties ?


En cette décisive année 1982, Kosinski se retrouve même dans la dernière sélection du Nobel – il est coiffé au poteau de justesse par Gabriel Garcia Marquez... Fin d’une imposture ?

Désormais, ses ailes de faux géant l’empêchent de marcher, serait-ce sur les eaux troubles d’une renommée d’affabulateur démasqué – tout juste lui permettent-elles encore de sautiller avec la gaucherie d’un échassier sur le point d’être balayé de la scène des vanités : la société n’a-t-elle pas besoin d’adorer d’autres idoles avant de les brûler ?

En 1989, à la chute du mur de Berlin, Jerzy Konsinski participe avec son épouse à la création d’une banque américaine en Pologne avant de plonger, hors de sa bulle de millionnaire démonétisé, à la rencontre de ses démons…

En 2011, le romancier Jérôme Charyn ranime son souvenir et propose des clés à travers cinq points de vue narratifs : « Tous ses dons, tous ses talents sont ancrés dans la méchanceté. Et comme il écrit à plusieurs mains, je ne peux pas dire ce qui est vraiment de lui » disait une narratrice du roman de Charyn. La férocité comme recette de survie dans un monde sans pitié, uniquement épris d’apparences ?

Le roman de sa vie renaît dans un monde à la mémoire courte sous la plume d’un de ses parfaits contemporains qui démêle l’écheveau du tissu d’affabulations dont « Djerzi » maîtrisait l’art suprême : par quelle diablerie imposteurs et mystificateurs font-ils toujours recette sur notre belle planète bleue ?


Michel Loetscher


LIRE >

  • Janusz Glowacki, Good night, Djerzi !, Fayard, janvier 2013, 334 p., 21,50 €
  • Jerôme Charyn, Jerzy Kosinski, Denoël, octobre 2011, 328 p., 23 €

 

Une première version de cet article est parue dans les Affiches-Moniteur

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