Course poursuite à travers l’Europe : « Une cible parfaite » de Tchinguiz Abdoullaïev

La collection « Aube noire », qui publie des polars aux héros récurrents, a entamé l’année dernière, avec Une cible parfaite, la publication des aventures de Drongo, ex officier du KGB, créé par Tchinguiz Abdoullaiev, lui-même ancien membre du renseignement militaire soviétique et désormais auteur à plein temps. Ce livre vient de sortir en poche, dans la collection « Aube poche polars ».

              Un homme russe est en fuite, recherché aussi bien par la mafia crapuleuse que par la politique et témoin clé dans une affaire instruite par le Parquet de Moscou. La première envoie à ses trousses Veidemanis, un ex officier du KGB, bien conscient qu’il y laissera sans doute sa peau, mais prêt à tout pour assurer l’avenir de sa fille. Le second fait appel à Drongo, lui aussi ex-officier du KGB et célèbre pour ses capacités de déduction. Drongo doit mettre la main sur l’homme avant Veidemanis, sans quoi l’enquête du parquet de Moscou échouera. Une course poursuite s’engage à travers l’Europe.

              Autant le dire tout de suite, Une cible parfaite présente de nombreux défauts. Si la traduction est globalement fluide et satisfaisante, on trouvera des maladresses dans la facture même du roman, à commencer par tout ce qui caractérise Drongo en dehors de ses aptitudes et de sa carrière professionnelle. Ainsi sa relation avec Jill, sa maîtresse italienne, est-elle un mélange de convenu et de superflu. Une cible parfaite n’étant pas un roman centré sur l’analyse de la psychologie amoureuse, les tergiversations de Drongo au mieux indiffèrent (par leur banalité), au pire agacent (parce qu’elles retardent inutilement la progression de l’intrigue). Idem pour ses tirades culinaires – le sieur est un fin gourmet – qu’on a déjà lues une centaine de fois, au point que s’extasier sur une « pascaline d’agneau à la royale » ou un « Cabernet Sauvignon 1987 » semble être devenu un passage obligé de tout polar. De ce point de vue, le personnage de Veidemanis, la « cible parfaite » désignée par le titre est beaucoup, plus intéressant, original et poignant, en ex-officier du KGB à la vie ratée, dont l’histoire familiale porte les stigmates de l’histoire soviétique.

              Autre faiblesse du livre : les clichés nationaux. L’intrigue se déroulant entre Moscou, Amsterdam, Huizen et Paris, nous rencontrons des Européens de l’Ouest forcément civilisés et légalistes, face à des Russes bien sûr peu soucieux des procédures. Les Français s’appellent Marcel et Eugène, et lorsque la franco-polonaise Sybille Duverger parle de venger son amant, le narrateur constate que « c’est le sang polonais qui a parlé en elle. Une Française de bonne éducation acceptera d’aider, mais une Polonaise, en plus, se vengera. »

              Pourtant le livre se tient et le lecteur accepte sans mal de suivre les personnages dans leur périple agité. C’est que les à-côté – non policiers, au fond – mis à part, l’intrigue est fort bien construite et ménage des rebondissements jusqu’au bout, le procédé le plus efficace étant indéniablement l’alternance des points de vue d’un chapitre à l’autre : les uns sont narrés à la première personne par Veidemanis (les plus réussis), les autres à la troisième. De ce fait, on s’interroge/redoute/espère presque jusqu’au bout, le rapprochement de ces deux lignes d’intrigue, dont les protagonistes aux objectifs concurrents sont pourtant également sympathiques au lecteur.

              Et puis soucieux des néophytes en matière de filature, espionnage et autres arcanes des services secrets soviétiques, Tchinguiz Abdoullaiev veille scrupuleusement à ce que tout soit clair, malgré l’imbrication compliquée des tenants et des aboutissants, sans pour autant rien dévoiler prématurément. Ainsi, que cela tienne aux connaissances acquises sur le terrain et/ou à un art bien maîtrisé de la narration, Une cible parfaite guide le lecteur, sans jamais le perdre, dans l’univers inquiétant, et plus que jamais d’actualité, des accointances entre mafia et politiques. Une bonne raison pour se tourner ensuite vers Le Fardeau des idoles, la nouvelle enquête de Drongo, que les éditions de l’Aube viennent tout juste de publier.

 

Tchinguiz Abdoullaiev, Une cible parfaite, traduit du russe par Robert Giraud, Éditions de l’Aube, coll. « Aube poche polars », 2013, 512 pages, 12,50 euros    

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