Erskine Caldwell, Le Bâtard : Délicieusement vintage

« Vingt-dieux  la belle idée ! » pourrait-on s’exclamer de grand cœur et en chœur, ou encore, avec un enthousiasme aux couleurs moins violentes : « Par le ciel, la belle idée, braves gens ! »… que celle de l’éditeur Belfond, et plus particulièrement de Françoise Triffaux, créant cette collection Belfond Vintage qui se propose de, je cite « redonner vie à des livres introuvables, qu’il s’agisse de classiques tombés dans l’oubli, de textes injustement méconnus ou de curiosité littéraires » Quelle belle, quelle formidable idée. Pour lutter et se défendre contre le déferlement de la sempiternelle nouveauté qui nous terrorise, que nous nous devons de traiter à la seconde, au doigt et à l’œil, sous peine de rejet immédiat dans les limbes, desquelles son émergence vient d’à peine s’achever. Car il en existe tellement, des romans, tellement, et nous n’en savons rien ! et de ne pas le savoir les tuera, pourris dans l’ombre de ceux, quelques privilégiés, dont on braille un mérite et une existence qu’ils ne méritent pas à ce point, acquise et voguant sur les courants gentils des modes de compromission.

 

Or, dans cette collection Belfond Vintage, ô, bonheur entre tous, une résurrection : Le Bâtard, d’Erskine Caldwell. J’ai découvert et lu ce roman alors que haut comme quatre pommes, disons cinq, je ravageais goulument la bibliothèque de ma sœur aînée, et c’est tout simplement ce qui m’a fait découvrir ce grand écrivain qu’était Caldwell – puis après lui, après cette découverte-là, non seulement tous les romans dudit ( Le petit arpent du Bon Dieu, La route au tabac… ), mais d’autres écrivains en chaine, ceux et celles du Sud profond et universel, les Faulkner, Penn Warren, McCullers, Flannery O’Connors, Eudora Welty, Kate Chopin, Styron, tant d’autres, qui me conduisirent par des sentiers non battus jusqu’aux Daniel Woodrell, James Carlos Blake et Cormac McCarthy d’aujourd’hui. Ce « Bâtard » de Caldwell, j’avoue ne plus m’en souvenir dans le détail, mais je me rappelle parfaitement le bonheur de sa découverte, le plaisir de lecture qui vous emporte comme dans une ivresse et vous fait décoller du présent, d’ici, du monde ordinaire pour être là-bas dans un autre dimension avec d’autres personnes, personnages, être non seulement avec eux, mais être eux. Dans les années 20, Gene, maudit de naissance, traine sa malédiction au jour le jour, pas après pas, rencontres après rencontres sur ce chemin qui l’emporte plus que lui ne le parcourt à travers le Sud du soleil et des misères, que parsèment incidemment les meurtres, jusqu’à cette ultime rencontre d’une fille qui pourra peut-être orienter différemment cette vie de vagabond… Caldwell dit : « Ça n’a jamais été pour mon plaisir que j’ai pu voir des hommes, des femmes et des enfants naître, vivre et mourir dans la misère, l’ignorance et la dégradation. J’ai récolté le coton avec eux ; j’ai partagé leur pain, j’ai creusé avec eux la tombe de leurs morts. Personne ne peut se considérer comme l’un d’eux à plus juste titre que moi… » Ce qui est indéniablement vrai. Et il l’a écrit, l’a répété au fil de magnifiques et poignants romans. À quand la réédition, aussi, de Un pauvre type, des Voies du seigneur, de Jenny toute nue, Annette… S’il vous plaît madame.

Dans l’attente : Le Bâtard. Urgemment.

 

Pierre Pelot

 

Erskine Caldwell, Le Bâtard, Belfond Vintage, avril 2013, 158 pages, 16 € 

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