À la recherche de la mémoire perdue : "Trouvée", un thriller de Luc Bossi et Isabelle Polin

Ce sont les couloirs secrets empruntés par la mémoire lorsque celle-ci est appelée à aider à la reconstruction de la vie de Clara Langlois, l’héroïne principale, qu’explorent Luc Bossi (Manhattan Freud, chez Albin Michel, producteur et scénariste) et Isabelle Polin (Meurtre millésimé, chez Michel de Maule) dans leur dernier livre Trouvée, publié dans la collection Fayard noir. Les auteurs ont également puisé l’idée, ni plus ni moins, dans la prose de Marcel Proust qu’ils citent à plusieurs reprises et dont voici ici l’échantillon le plus approprié à leur sujet: La meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l’odeur d’une première flambée… 

 

Malgré cet illustre parrainage littéraire, rien n’aurait suffi à cet édifice à garder son éclat, si nos deux auteurs n’avaient pas su le construire sur des piliers qui lui confère, en somme, tout ce dont un tel roman a besoin pour devenir un très bon polar : vivacité de l’action, force des personnages et un haletant suspense.

 

Et c’est justement par un retour dans le temps que démarre son action. Deux crimes se font face, parfaitement semblables surtout par leur barbarie: deux hommes sont assassinés sauvagement, l’un à Lille, l’autre, neuf ans après, à Sainte-Eulalie, près de Bordeaux, tous les deux égorgés et sur qui l’assassin s’est acharné, en leur infligeant à chacun sept coups de couteau. D’autres coïncidences viennent rajouter leur lot de suspense à ce scénario morbide: même nom de famille pour les deux victimes, même jour anniversaire pour les faits, même histoire familiale.

 

La première victime était le docteur Yvan Royer, le père de Clara Langlois. Cette adolescente en révolte – aujourd’hui étudiante en histoire de l’art – avait été à l’époque des faits fortement soupçonnée d’avoir assassiné son père. Surtout par Marianne Brunel, officier de police tenace qui, depuis, suit de près l’évolution de la thérapie de Clara sous la direction du neurologue François Ménard. Au fil des années le docteur Ménard s'était rapproché de Clara, était devenu son compagnon, le maître de ses pensées et de ses réactions. La mission de sa thérapie était d’identifier, à l’aide d'une méthode inspirée par les travaux de la psychologue américaine Elisabeth Loftus, le vrai visage de l’assassin du père de Clara. Au moment où les media parlent du deuxième drame, celui de l’assassinat de Jean-Marc Royer, Clara trouve dans son sac un papier où est écrite cette phrase mystérieuse : Je t’ai trouvée. Ces paroles ont un écho extrêmement fort pour la jeune femme, car l’homme qui avait tué son père était aussi son ravisseur à elle, qui l’avait séquestrée dans d’horribles conditions. Elle avait fini par s’évader, par échapper ainsi à son emprise et par se débarrasser de ce Lycaon, l’homme-loup, le loup-garou, un détraqué qui lui avait fait subir un jeu sinistre de cache-cache où elle n'était que la victime désignée d'avance.


La phrase avait donc pour Clara toute son importance.


Dès lors, tout recommence, et c’est le début d’une histoire qui, jusqu’à la fin, va connaître de multiples rebondissements construits sur plusieurs niveaux qui s’entrecroisent à la fois dans une trépidante action et dans les méandres d’un thriller psychologique où Clara «ignorait ce qu’elle devait craindre le plus : le passé, ou l’avenir».

 

 La sécurité d’un foyer douillet, l’amour de François, la thérapie qui semble réussir à la guérir des fantômes du passé ne suffisent plus, et chaque événement semble rompre brutalement l’équilibre de sa santé fragile. L’arrivée d’Antoine Rives, un nouveau voisin, homme assez discret, accompagné de son chien, la trouble encore plus. Et puis, l’attitude toujours hostile de Marianne Brunel qui, par le passé, avait entretenu une relation avec son père, et qui était loin de l’impartialité nécessaire à l’enquête. Même François, qu’elle aime par-dessus tout, et qui est son seul soutien, commence à la faire douter d’elle-même et de l’amour qu’il lui porte, car, à chaque fois qu’elle doit replonger dans son passé, elle doit de nouveau faire face à l'image de ce Lycaon que les événements récents l’ont rendue encore plus effrayante.

 

Comment savoir qui est l’auteur de ces horribles crimes, qui est son ravisseur, pourquoi les articles de presse de l’époque, qu’elle retrouve sur Internet, la présentent comme étant «une jeune droguée qui a, sans doute égorgé son père»? Et si le vrai auteur n'était que François lui-même? Et qui se sert de cette histoire de thérapie pour cacher derrière cet amour son vrai visage de tueur? Et si tout n’était qu’une invention, une culpabilité sans aucune racine dans la réalité, mais dans celle de son esprit?


Comment le savoir?

 

Tout est réuni pour que les choses s’accélèrent et que le suspense touche à son comble, soutenu par une narration parfaitement maîtrisée et où les contrastes prennent pleinement possession sur l’action comme sur les personnages. L'opposition initiale entre Clara et François – «lui était aussi introverti réfléchi, doux»; elle était «spontanée, entière, créative» – s’accentue, prend des proportions telles, qu’elles finissent par pousser Clara à le soupçonner de mensonge, de manipulation. Idem pour Marianne Brunel, obligée à reconsidérer le passé qui la renvoie sans cesse à la séparation du père de Clara, alors que l’évolution de l’action semble ne pas lui donner raison quant à la culpabilité de celle-ci.

 

Il faudra, dès lors, attendre, dans ce jeu de cache-cache, la fin du roman pour que l’identité du vrai coupable soit dévoilée, et pour atteindre, enfin, le temps présent, comme un temps retrouvé, pour revenir à l'évocation de l’univers proustien.

 

C’est alors à juste titre que ce livre passionnant voit ses droits vendus pour une adaptation au cinéma, comme une garantie supplémentaire à ses multiples qualités qui vont donner toutes les chances à cette nouvelle aventure cinématographique.

 

En réalité, un gage à sa vraie et bien méritée valeur romanesque.

 

Dan Burcea


Luc Bossi et Isabelle Polin, Trouvée , Editions Fayard, février 2014, 288 pages, 18,00 euros.

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