Nuages, de Boris Wolowiec

La langue des nuages

 

A-t-on déjà bien observé les nuages ? Le plus souvent, on les regarde passer. Ils sont une matière à rêver et nous invite à la contemplation, dans cette distance  toutefois, généralement oblique, que l’on entretient avec les choses du ciel ! Notre regard s’élève en diagonale et extirpe de cette masse volatile, toujours en mouvement, des visages parfois courroucés, des corps disproportionnés, monstrueux, avec des muscles et des nerfs tendus par l’effort, preuve que les déités et les démons se livrent là, pour le plaisir de notre imagination, un combat sans merci.

« Nuages », c’est précisément le titre du livre que Boris Wolowiec vient de publier aux éditions « Le Cadran ligné ». Qui connaît Boris Wolowiec ? C’est le mérite de Laurent Albarracin, l’éditeur, de nous le faire connaître, car il s’agit d’un premier livre, même si cet auteur a constitué au fil du temps une œuvre vaste et singulière, secrète, que l’on peut découvrir sur le site qui porte son nom. Le livre de Boris Wolowiec n’est pas un exercice de contemplation tourné vers un objet extérieur. Les nuages, il les a intériorisés, pris en bouche et il les déploie dans le ciel de la page. Chez lui, c’est toute l’écriture qui devient nuages. D'ailleurs, la figure de style qu’il utilise, conjointement avec l’anaphore et la répétition, est l’accumulation, mot dont la parenté étymologique avec cumulus est évidente. Comme les nuages, l’écriture de Wolowiec s’amoncelle, s’étire, s’effiloche, se reconstitue. Les mots se rattrapent, se chevauchent, proposent des liaisons d’images qui se font et se défont sous nos yeux. Chaque mot nouveau, qui semble jaillir ex nihilo, s’intègre aussitôt à la phrase déjà constituée et la bouscule, l’entraîne dans un mouvement en spirales révélateur d’un sens étrange qui va en s’affinant. De ces nuages verbaux, les pages finissent par être entièrement recouvertes, avec ce qu’il faut autour de vide pour que s’exerce le souffle de l’auteur, donnant ainsi du vent à la nuée, à la pensée. Mais le mieux, pour s’en faire une idée, est de le lire. En voici un extrait :

 

« Les nuages entassent l’implosion de l’inouï. Les nuages entassent l’implosion de neige de l’inouï, l’implosion de neige de l’inouï hors-tout. Les nuages ahanent les métamorphoses de l’inouï. Les nuages entassent ahanent les métamorphoses d’aisance de l’inouï. Les nuages entassent ahanent l’aisance d’anesthésie de l’inouï.

 

Cette œuvre est en dehors des sentiers battus. Comme Ghérasim Luca, qui lui prenait son élan de « l’inframot » par l’utilisation d’une sorte de cabale phonétique, il faut lire Wolowiec à haute voix pour en ressentir  toute l’ampleur. C’est en effet dans l’oralité que la magie de sa poésie s’exerce le mieux, procurant au lecteur une sorte d’ivresse. 

Alain Roussel


Nuages, de Boris Wolowiec, a été publié en septembre 2014 par les éditions du Cadran ligné, Le Mayne, 19700 Saint-Clément (prix : 10 euros).

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