Jacques Josse, Au bout de la route : La mort en tenue de camouflage

Dans l’œuvre de Jacques Josse, la mort est souvent présente. Elle frappe à l’improviste, s’invite comme le convive que l’on n’attendait pas, celui qui vient gâcher la fête. Dans son dernier livre, Au bout de la route, publié aux éditions le Réalgar, voilà qu’elle revient nous rendre visite, généralement en « tenue de camouflage » nocturne. Cette fois, elle rôde par les chemins, les routes de campagne ou les rues des villes, que ce soit de ce côté-ci ou de l’autre côté de l’Atlantique. Elle ne sait pas vraiment ce qu’elle fait, agit à la manière d’une somnambule. Rien de prémédité. Elle semble plus répondre aux sollicitations du hasard qu’à celle du destin, même si l’homme, dans la peur ancestrale qui l’anime, cherche à y voir la marque indélébile d’une fatalité. Parfois même elle s’étonne de ce qu’elle vient de commettre, épiant dans le silence « le moindre détail d’une scène d’accident », sans pour autant s’embarrasser de regrets mais nourrissant ainsi sa mémoire et complétant ses archives macabres.


Jacques Josse l’observe dans ses œuvres à la fois singulières et définitives. Il la suit à la trace. Il fixe dans son écriture l’instant tragique où elle va stopper net l’élan vital d’une Isadora Duncan, d’un Jean Follain, d’un Roland Barthes, d’un Pierre Curie, d’un W.G. Sebald, d’un Murnau, d’un Jean Rouch, d’un Albert Camus, pour n’en citer que quelques-uns. Sa prose, extrêmement précise, avec ses phrases courtes qui taillent dans la route, avec ses brusques virages pris à toute allure dans les mots, a quelque chose d’hallucinatoire. Voici comment il décrit la mort de Pollock : … « Il négocie l’avant-dernière courbe. Il mord sur l’herbe, redresse la voiture d’un geste brusque et attaque le second virage. Il accélère encore. Cela lui fait du bien de sentir la mécanique rugir jusque dans ses muscles et ses veines. Il ferme les yeux, les ouvre à nouveau. Et voit subitement deux ormes qui lui foncent, tête baissée, droit dessus. Il décélère, braque et freine par à-coups mais les roues ne suivent plus. La voiture se cabre et part en crabe. Ça bloque sous les pieds. Ça cogne. Ça hurle. Il entend des cris à droite. Puis le choc, la descente, le vol plané. Son corps, projeté en l’air, retombe lourdement. Il sent ses os qui craquent. Puis il ne sent plus rien… »


Les belles gravures de Scanreigh qui accompagnent le livre sont comme des stèles funéraires où grince une sorte d’humour noir : c’est le rire de la mort.


Alain Roussel


Jacques Josse, Au bout de la route, Editions le Réalgar, janvier 2015, 40 pages, 8 €


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