La tendance des romans "complotistes" : quel intérêt ?

Il en sort de plus en plus, tel le symptôme d’un virus, mais elles peuvent être répertoriées en deux catégories différentes : il y a les histoires purement fictives de l’ordre du fantasme, et il y a les œuvres informatives de type « fouteuses de bordel ». Pardonnez l’expression, je la trouve adéquate.

C’est la seconde catégorie qui m’intéresse, puisque les œuvres des Éditions Hélène Jacob qui s’inscrivent dans ce genre en font toutes partie.

Rémoras a ouvert le bal avec ses agents secrets retraités légèrement embourbés dans une réalité qu’ils ont eux-mêmes façonnée, Game Over s’attaque à la finance internationale en nous relatant une cyberattaque dont on commence déjà à pressentir qu’elle n’est peut-être pas si fictive que ça, et La 3e guerre braque les projecteurs sur la réaction que les Populations devraient se presser d’adopter pour changer le cours des choses…

On est au cœur du sujet : la fiction comme outil pour décrypter et transcender notre réalité, l’imaginaire au service de l’intellect pour lui éviter l’EEG plat, le divertissement comme coup de pied aux fesses pour nous rappeler qu’on ferait mieux de s’occuper de notre réel avant qu’il ne soit trop tard.

On me dit souvent qu’on n’a pas besoin de la littérature pour comprendre notre Monde, que les essais et autres « livres très sérieux » s’en occupent, et que mon rôle à moi, à nous « conteurs », c’est de divertir et émouvoir sans se poser de question.
Je crois tout le contraire.
Je crois que sans une « fiction informative », une fiction impliquée qui aime entraîner son lecteur dans un monde qui s’avère finalement être le sien, nous risquons vite de ne plus chercher à comprendre quoi que ce soit. Noyés chaque jour sous une chape d’informations qui n’en finit pas d’épaissir, nous avons besoin de l’imagination en tant que reflet du réel pour aimer nous poser des questions. À l’heure actuelle, cette littérature-là est de l’ordre de la prescription médicale pour la société malade dans laquelle nous vivons, et pour deux raisons :

  • D’abord parce que la fiction est aussi efficace qu’un airbag : vous êtes conscient qu’il y a accident, mais vous bénéficiez d’un amorti. Ça permet de réfléchir au contexte sans se manger le volant.
  • Ensuite, parce que plonger dans un imaginaire qui reste connecté à la réalité, c’est comme faire de l’apnée : vous revenez avec des sensations et des idées que vous n’auriez jamais eues en surface.

La littérature « complotiste » renferme à elle seule une réalité déformée par le questionnement, et une fiction qui tente de lui apporter des réponses. Elle cherche et trouve en même temps, propose et incite en même temps, elle est le creuset de notre époque et des voies qui s’offrent à elle. Lorsqu’elle repose sur une solide documentation ou une expérience réelle, comme c’est le cas pour les livres sus-cités, elle a toute sa légitimité, et je dirais même, toute son utilité.

Aujourd’hui, on étudie la dimension « visionnaire » du 1984 de Orwell à l’Université… En son temps, ce livre était considéré comme une grandiose histoire d’anticipation…
Nous verrons dans vingt ans, si les constats et avertissements lancés de nos jours par des auteurs « débordants d’imagination », ne trouveront pas, eux aussi, un écho résonnant… un écho qui leur donnera, a posteriori et regrettablement, tout leur sens.

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4 commentaires

anonymous

Merci pour votre questionnement qui est très d'actualité. J'ai toujours aimé la fiction car elle nous interroge et nous dérange sur notre présent conjugué au futur incertain (ou l'inverse). Et vous avez raison, il y a différents niveaux de fiction. Celle qui tente de nous interroger, mêlant réalité et vraisemblance plausible (un futur possible ?) : qui aurait écrit sur les lanceurs d'alerte il y a quinze ans ? Il y a celle de l'anticipation "sincère" dont Orwell fur un des pères sans doute, qui imagine en tentant de proposer une vraie vision, un avenir lointain... Et il y a celle du "complot fiction-marketing  dont les romans sont adaptés au cinéma jusqu'à la nausée (Hunger Games, Divergente, Labyrinthe, etc.) où le complot revisite les thèmes classiques, avec une "spéciale dédicace" pour les ados. Enfin, je peux me tromper ...

Je trouve votre classification tout à fait pertinente Yannis. :)

la fiction n'interroge-t-elle pas toujours le réel ? si elle n'est pas cela, alors elle n'est rien qu'un vrac de choses vides non corrélées entre elles. La science-fiction la plus pure, disons Asimov, si elle ne donne pas une image de notre propre société, à quoi peut-elle servir, et pourquoi la lire ? S'évader ? non, je n'y crois pas, il faut garder un peu de soi présent dans le livre qu'on lit pour lui donner son sens. 

et puis, sur le côté "visionnaire", il est facile d'aller trier le passé vu d'aujourd'hui en donnant des brevet de visionnaire à ces oeuvres qui ont su imaginer un réel qui est advenu