Vincent Duluc, Un printemps 76 : Une autobiosociographie en noir et vert

Bernard Pivot intitulait sa chronique du 31 janvier 2016 consacrée à Un printemps 76 de Xavier Duluc : « Les ouvriers dans le chaudron ». Et c’est vrai que ce texte publié par le célèbre journaliste sportif s’intéresse davantage à la couleur noire qui a fait l’identité de Saint-Etienne qu’à son célèbre vert… Ou plutôt ses célèbres Verts !

 

Pour tous ceux qui sont nés à Saint-Etienne avant 1970, le printemps 1976 reste celui d’une aventure footballistique exceptionnelle qui a fait rêver la France tout entière, donné ses lettres de noblesse à un sport bien moins médiatique qu’aujourd’hui et mis un peu de baume au cœur de milliers de gens. Ils se sentaient tellement perdus dans une ville dont ils ont toujours été fiers mais qui n’avait jamais vécu que dans l’ombre de sa glorieuse voisine lyonnaise. Le printemps 1976, c’est l’histoire d’une équipe de football qui passionne petits et grands, les stéphanois et les autres, ouvriers et bourgeois. Le printemps 1976, c’est une défaite en finale de Coupe d’Europe mais une descente des Champs-Elysées, une réception au palais présidentiel et la certitude pour les enfants qui avaient pleuré devant leur télévision, un soir de mai, qu’ils ne reverraient plus jamais leur équipe favorite au sommet de l’Europe du football. Il y un homme qui a bien compris ce que cette histoire représente pour tous les stéphanois d’aujourd’hui, les supporters nouveaux de 2016 comme les anciens, c’est Christophe Galtier, l’actuel entraîneur de l’équipe… Mais c’est une autre histoire !

 

Xavier Duluc se rappelle, lui, la ville d’antan, celle qui comptait encore quelques mineurs, beaucoup de sidérurgistes et de métallurgistes ; une ville aux murs noircis par la pollution d’un charbon jusqu’alors omniprésent ; une ville bientôt ravagée par le chômage, la fermeture des entreprises les unes après les autres, une ville où il ne faisait pas bon vivre en fin de compte… Une ville fière de ses valeurs, pourtant, courage et travail, abnégation et solidarité, qui avait érigé en effet la sueur et l’effort en prix à payer pour exister un peu. Et quand quelques supporters lyonnais imbéciles écriront sur une banderole dans un stade, « Les gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines », ils ne comprendront pas qu’ils rendaient là hommage à un passé, une histoire, une généalogie. Peu importe : Xavier Duluc montre que le printemps des Verts correspondait à l’automne d’une ville ; l’ASSE brillait et son sponsor-maillot, la grande entreprise stéphanoise, nationalement connue, se mourait. Manufrance allait bientôt disparaître sans que Bernard Tapie, quelques années plus tard, ne sache la sauver ! Un printemps 76 n’est pas un récit sur le football pour supporters. Qu’il soit question du président du club, de son entraîneur, de quelques joueurs brillants ou du journaliste-vedette de La Tribune-Le Progrès – ah ! Gérard Simonian… - en des portraits intéressants et parfois amusants, n’est pas le cœur de l’histoire… Un printemps 76 n’est pas non plus une autobiographie. Qu’il soit question de l’adolescence de l’auteur, de ses premiers émois amoureux et de ses ratages avec les filles, de sa difficulté à avoir le bac et de son entrée dans le journalisme, n’est pas le cœur de l’histoire. Le cœur de l’histoire, c’est Saint-Etienne, ses gens, son accent, ses couleurs, sa pauvreté, sa lutte des classes – Ah ! Casino et la famille Guichard, inévitables… – son appétence, ses échecs, ses désillusions, son chômage, sa rivalité avec Lyon, sa soif de grandeur et sa peur du reniement… Saint-Etienne n’est pas belle mais Saint-Etienne séduit. Saint-Etienne ne se confond avec aucune autre ville. Et Vincent Duluc a tort de croire qu’on ne la reconnaît pas dans le fameux film avec Dewaere, Le juge Fayard. Saint-Etienne se reconnaît toujours. Saint-Etienne a un cœur en vert, certes, et en noir. Silicosé ? Oui, et c’est tant mieux ! Elle sait d’où elle vient, et ses habitants ne se tournent pas vers les filles siliconées sans savoir ce que l’artifice enlève au plaisir. Ville de la réalité et de la vérité, Saint-Etienne, un printemps 76, incarnait déjà la France telle qu’elle advenait, après le choc pétrolier, avec son premier million de chômeurs pour bientôt, et son envie éternelle de croire en des lendemains qui chantent… En 77, Saint-Etienne élirait un maire communiste, puis des maires de droite… Saint-Etienne se chercherait un avenir mais elle était forte de son passé. Et elle le savait. Xavier Duluc le rappelle à tous les stéphanois, et à tous les autres.

 

Et si une autosociobiographie s’écrivait d’abord pour rendre à ses lecteurs leur fierté ? Car Un printemps 76 raconte comment on grandit à 100 kilomètres d’une ville qui fait rêver tout un pays alors même qu’elle est l’une des plus défavorisées. Comment la vie sort renforcée des épreuves et comment on se souvient, quarante ans plus tard, d’avoir trahi ou pas les idéaux de celle qui nous a aidés à grandir.

 

Thierry Poyet

 

Vincent Duluc, Un printemps 76, Stock, janvier 2016, 216 p., 18 €

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