Les contes défaits d’Oscar Lalo : L’enfance dévastée

Dès la première ligne, l’auteur prévient : « Ce qui m’est arrivé ne m’est pas arrivé. » L’a-t-il rêvé seulement cette séparation avec sa mère, l’arrivée au home d’enfants et l’atmosphère carcérale qui y régnait ? Interdit de rire, de parler et même de tousser ! Au téléphone, aux parents venus aux nouvelles, il doit invariablement faire beau et la directrice glisse les réponses qui conviennent. Sorcière comme dans les contes si effrayants pour enfants, elle règne sans partage sur la colonie, appelant ceux qui ont la malchance d’avoir le même prénom jean 1, Jean 2 pour ne pas se tromper, distribuant les mises en quarantaine, les punitions, les coups et les injures avec un grand sens de l’équité.

 

Et le soir vient l’ogre, le mari de la directrice, qui caresse les enfants et les serre de trop près avec le silence complice des moniteurs. Contre toute attente, il ne s’agissait pas là d’un centre de redressement, mais d’un havre chic pour familles aisées que les parents étaient fiers de pouvoir offrir à leur progéniture.

 

Avec la pudeur et l’élégance des grands blessés, l’auteur de ce premier roman dresse le tableau d’une maltraitance presque ordinaire, celle d’une colonie des années soixante, sans contrôle parental, dans la lâcheté des adultes, l’indifférence des autres, la solitude de l’enfance saccagée. Il y existe quand même des refuges de douceur, un grenier où l’on peut souffler, un frère à qui l’on se confie, une petite sœur à protéger et l’émerveillement du désir amoureux pour la première fois avec une monitrice mais aussi des jeux plus troubles avec la fille du couple Thénardier. Bref, il y avait « des bons moments qui passent de promesses à sévices, le mariage de l’incertain et de l’anodin » écrit l’auteur et cela vous fend le cœur.

 

Pour son premier livre, qu’on hésite à appeler roman tant l’histoire semble sortie des profondeurs de son âme, Oscar Lalo verse dans une autofiction poétique et forte, où 79 courts chapitres suffisent à raconter l’indicible, à immerger le lecteur dans un lit de terreur et où la pudeur, le silence, la retenue ne sont jamais loin. On songe à tous les grands textes sur l’enfance brisée, à La classe de neige de Carrère mais aussi, et c’est étonnant, à la littérature des camps : car ce home d’enfants est proprement nazi.

 

Guérit-on de cette jeunesse-là ? Pendant longtemps le narrateur a avancé, s’est inventé mille vies car il n’en avait aucune, a tenu à distance le plaisir dans un déni infranchissable, a versé dans le coma des sens et de la mémoire. Jusque à ce que l’armure se fissure et que l’écriture ne vienne le libérer, tout comme une femme qui exige la sincérité.   Comment sortir de l’aquarium où l’on crie sans être entendu et renaître à la vie ? Sans doute en écrivant l’un des plus touchants textes de cette rentrée.

 

Ariane Bois

 

Oscar Lalo, Les contes défaits, Belfond, août 2016, 216 pages, 18 € 

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