"Obéir", magistral roman de Leena Lander sur la puissance féminine naissant du joug masculin

Un livre magique car il nous fait apporter le meilleur de nous-mêmes !


Nous sommes en Europe, unie, paraît-il… Pourtant combien en nous la Finlande apparaît brumeuse et inconnue. Voilà de quoi lever quelque peu le voile avec ce roman de Leena Lander. Née en 1956, cette femme vit à Turku (c’est dire !) et elle est reconnue internationalement (Ah !). C’est ce que nous apprend la quatrième de couverture de l’éditeur. Pas très motivant et c’est dommage parce que le livre vaut plus que la peine. Comme l'on dit, on naît tous les jours et vous pouvez naître à cet écrivain, il, pardon elle, en vaut la peine !

Brumeuse Finlande

Pour bien se situer il faut un rappel historique. La Finlande appartenait à l’empire russe avant 1917 ; tout comme la majeure partie de la Pologne, les pays baltes… En 1917, un surnommé Lénine fait un coup d’état, appelé pompeusement « Grande Révolution d’Octobre ». Il contrôle Moscou et sa région et part à la conquête de l’empire défunt à coup d’Armée Rouge et de police politique, de camps de concentration… Evidemment parmi les minorités de l’ex-empire, beaucoup perçoivent l’opportunité de matérialiser leur propre dignité en créant leur propre pays : ne plus porter de nom russifié, parler sa propre langue, pratiquer sa propre religion… Une bonne partie des Finlandais saisit la balle au bond. Ils forment ce qu’on appelle « les Gardes Blancs ». D’autres croient au Grand Soir, à la Révolution mondiale, au respect et à la Justice universels. Et, comme à chaque fois qu’un Bien affronte un autre Bien, cela tourne au bain de sang le plus total, le plus affreux, la guerre civile (Ah ! Si Adam n’avait pas croqué la pomme !).

Une femme poignante

Nous avons alors un vrai roman de femme qui naît. Celui de la puissance féminine écrasée par le pouvoir masculin. Quatre personnages aussi riches les uns que les autres habitent ce livre d’une profondeur rare par la pertinence de ses dialogues et de ses descriptions, l’épaisseur de ses ressentis : le juge Hallenberg, écrivain égaré dans un rôle de juge et qui en devient inquisiteur, le soldat Harjula, qui réalise la vanité de son pouvoir face à Mina qui est… qui est qui ? Puissance égarée, stérile, écrasée par un pouvoir qui ne la reconnaît pas ; Konstan, le fou, ou plutôt l’idiot du village qui navigue à son aise entre les mondes, collectionnant ses pauvres trésors qui seraient en fait les nôtres ? Ces quatre personnages sont dans une prison, un asile d’aliénés reconverti en prison, qui accueille les Rouges vaincus. Ils sont vaincus, on les juge, désolante barbarie inventée au XXe siècle. On est vaincu, il faut en plus qu’on soit coupable. Dans les horribles temps passés on pouvait crever en ayant raison mais en étant plus faible. C’était suffisant au vainqueur d’être vainqueur. Mina, qui ? Elle change de nom au gré des obéissances qu’elle a dû subir, Mina est jetée par la vague nauséeuse de l’Histoire sur la pauvre rive de l’Etre. Comment se définit-on au-delà de nos obéissances ? C’est une des nombreuses interrogations de ce livre âpre, dont on pourrait parler encore longtemps. Quand le sentiment devient un luxe, qui sommes-nous ? Et l’auteur nous décrit les mœurs des loups en accroche à chaque début de chapitre. Chaque secret est dévoilé lentement, car il en vaut la peine.

Ce livre est un « thriller » de l’âme, il serait vain de décrire l’émotion, ce serait déflorer ou trahir. Pour qui aime danser dans le dense de la vraie littérature… Un coup de pied de maître dans la fourmilière du confort sentimental…


Didier Paineau

Leena Lander, traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Obéir, Actes sud, septembre 2006, 361 pages
21,80 €

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