Dans le tumulte des "déferlantes", Claudie Gallay déploie un grand livre sur la couardise humaine
Dès les premières phrases l’ambiance vous happe. Dans un non-style qui en devient un, laissant toute la place à l’histoire. Rien que l’histoire. Claudie Gallay dépeint merveilleusement l’ambiance si particulière des petits villages. De ces micro-communautés qui vivent repliées sur elles-mêmes. Où tout le monde épie tout le monde. Avec le rythme de la mer qui imprime sa loi. Avec le café de Lili qui est le centre du monde. De leur monde. Avec ses coutumes. Son idiot (Max, qui nettoie les tombes et vole les fleurs). Ses secrets (le naufrage des parents de l’inconnu arrivé le soir de la tempête). Son notable (monsieur Anselme qui ne pense qu’à Prévert). Son gardien de phare (Théo : a-t-il éteint la lampe du phare le jour du drame ?). Et tous les autres : le sculpteur Raphaël, et sa sœur Morgane, belle épigénie en mal d’amour. L’Irlandaise qui tient un bed-and-breakfast, et tant d’inconnus forts en relief. Puis la narratrice. Une biologiste en exil de société. Venue là depuis six mois étudier les oiseaux migrateurs pour se remettre d’un drame.
Lambert, puisque c’est son nom, est là pour vendre la maison
familiale. Officiellement. L’affaire de deux, trois jours. Mais il reste.
Pourquoi ?
La narratrice passe son temps à errer sur les landes. À faire ses relevés.
Elle parvient aussi à délier les langues. Sans doute lui parle-t-on car elle
n’est pas d’ici. Paradoxe. Elle intrigue Lambert qui se livre petit à petit. Il
y a quarante ans, toute sa famille a péri dans le naufrage de leur embarcation.
Théo était de garde au phare. Que s’est-il réellement passé ?
Diablement menée, cette histoire est un piège dans lequel tombe le lecteur dès les premières pages. Grâce à une construction aérée, aux phrases courtes, au rythme léger et aux nombreux dialogues. Grâce aussi à un univers particulier. Au poids du non-dit qui transpire derrière chaque personnage. Les étoffant au fur et à mesure que l’on découvre ce qu’ils sont en réalité. Les haines ressortent. Les anecdotes. Les portraits. Les modes de vie. La rudesse des conditions.
C'est magnifiquement enlevé. C’est palpitant. C’est un jeu de massacre qui noue la condition humaine dans sa cruelle perspective. La rendant attachante car tellement fragile. Si cruelle, aussi. Le carcan qui entrave le désir, allant jusqu’à briser une existence. À cause de la tradition. De l’amour interdit. Du regard de l’autre. Portraits des hommes dans leur nudité première, ces déferlantes iront fracasser l’impossible émoi des cœurs purs sur l’autel des convenances. Une démonstration imparable de la couardise humaine. Une leçon de modestie.
Un grand livre.
Annabelle Hautecontre
Claudie Gallay, Les déferlantes, éditions du Rouergue, coll.
"la brune", mars 2008, 524 p. - 21,50 €
Grand Prix des lectrices de ELLE, 2009
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