"Lennon", sur un divan avec le beatle assassiné
Ce qui
est proposé ici relève d’un exercice original : raconter les
séances de psychothérapie de John Lennon en mariant citations tirées des
dizaines d’interviews données de son vivant (il considérait l’interview
comme une forme d’art) et digressions — toujours crédibles — sortis
tout droit de l’imagination de l’auteur. Ce récit, qui prendra la forme
de longs monologues, ne mettra en scène qu’un personnage : Lennon. Le
chanteur sera le seul à parler, le psy demeurant invisible et silencieux
même si le lecteur doit toujours avoir à l’esprit sa présence.
Un exercice entre fiction et réalité
Le livre s’ouvre donc sur un John Lennon âgé de 35 ans, ayant mis (temporairement) un terme à sa carrière, allongé sur le divan et en pleine logorrhée. Pourquoi d’ailleurs avoir choisi ce moment là, 1975, pour commencer ce roman ? Lennon sortait d’une période de sa vie appelée le « lost weekend », marquée par sa séparation avec Yoko Ono. Son deuxième fils, Sean, venait de naître et Lennon, pour la première fois depuis son adolescence, s’arrêta un instant : disons que placer cette thérapie à ce moment de sa vie est crédible.
De son enfance perturbée dans l'Angleterre de l'immédiate après guerre à sa rencontre avec Yoko Ono, en passant par les bouges de Hambourg et les stades américains : Lennon évoque les grandes étapes de sa vie ainsi que les « cadavres » qui émaillent sa route : sa mère, Julia. Sa tante, qui l’a quasiment élevé. Pete Best, le batteur originel, remplacé par Ringo Starr pendant leurs premiers enregistrements avec George Martin ; ou encore Brian Epstein, le manager du groupe, homosexuel amoureux transi de John Lennon. Foenkinos, dont la connaissance de l’histoire des Beatles est indéniable, exploite à fond le côté « Thérapie ». Lennon, c’est un torrent de paroles qui irrigue le livre. En ce sens il s’agit d’un bel hommage, car quiconque a lu ses interviews a pu constater à quel point cet homme plein de verve – voire de fiel – savait se livrer et se mettre en scène lors de ces exercices que la majorité des rocks stars abhorrent.
Mélanger fiction et réalité est percutant : à propos de la séparation du groupe, Lennon alias David Foenkinos déclare : « mon groupe n'était plus les Beatles mais la Paix ». Une des phrases les plus marquantes de cette psy-biographie est sans doute celle où John, conscient de son statut d'héraut de la paix, déclare brusquement qu'il voulait « être capable de montrer (ses) parties génitales à tout moment, pour ne pas être non plus un Gandhi ou un Luther King susceptible de se faire assassiner ». Superbe trouvaille de l'auteur ? Ce dernier précise bien en note de bas de page que cette phrase a réellement été prononcée en 69 par Lennon, avec son humour toujours si particulier et des dons de voyance assez perturbants. Et ne chantait-il pas shoot me au début de Come together ?
Cherchez la (es) femme(s) ?
« Tout le monde a dit que Yoko avait brisé les Beatles, mais c'est le regard sur elle qui a tout foutu en l'air. Si elle avait été accueillie différemment, rien ne se serait passé ainsi », lui fait dire David Foenkinos. C'est avec ce genre de réflexion, qui permet de voir l'aventure de Lennon sous un angle différent de celui adopté par nombre de documentaires ou de biographies, que l'imagination de David Foenkinos montre tout son intérêt. Magnifiquement servies par la plume de l'auteur, les confessions de John prennent un tour inédit et personnel, sans que l'on puisse accuser son thérapeute de violer sa pensée ou sa parole. En effet, l'auteur, se montre parfois critique, faisant reconnaître à Lennon certaines de ses erreurs : son comportement avec les femmes, son attitude distante envers son premier fils, Julian, son égoïsme aussi.
Enfin, sur ses relations avec McCartney, on a droit à quelques saillies bien « lennonesques » mais aussi à la reconnaissance de leur amitié, de leur parcours commun : quand il parle de leurs retrouvailles au milieu des années 70, l’auteur fait dire à Lennon cette phrase : « on n’avait pas besoin de se parler. On était un vieux couple ». Finalement, dans ce livre, comme dans la vie de Lennon, tout ne tourne-t-il pas autour de Julia la mère, Yoko la muse, et Paul bien sûr : frère et double à la fois, tour à tour aimé, jalousé et regretté ? Lennon n’hésitait pas, en tout cas, à parler de son groupe comme d’un mariage en tout cas… D'un exercice ambitieux et délicat (faire parler les morts et mieux encore, les faire se confier), parfois susceptible de provoquer une certaine gêne — ne sommes-nous pas finalement les voyeurs de cette thérapie imaginaire ? — David Foenkinos se sort avec un brio alliant érudition et imagination et livre une jouissive et émouvante recréation de la parole de Lennon qui ne lasse jamais. Pour autant cela valait-il le coup diront des esprits chagrins ? N’est-ce pas puéril, vain ? Cela ne relève-t-il pas du jeu d’esprit un peu facile ? Alors, cher lecteur, je chanterai avec le personnage du livre : « we’re playing those mind games together ».
Le personnage de Lennon méritait une telle mise en abyme. Saluons donc un ouvrage susceptible, en ces temps de nostalgie des stars disparues, de plaire à la fois aux fans du Beatle assassiné, ainsi qu’à tous les amateurs de musique pop du siècle dernier : ne boudons donc pas notre plaisir.
Sylvain Bonnet
David Foenkinos, Lennon, Plon, 236 pages, octobre 2010, 18 €
Un exercice entre fiction et réalité
Le livre s’ouvre donc sur un John Lennon âgé de 35 ans, ayant mis (temporairement) un terme à sa carrière, allongé sur le divan et en pleine logorrhée. Pourquoi d’ailleurs avoir choisi ce moment là, 1975, pour commencer ce roman ? Lennon sortait d’une période de sa vie appelée le « lost weekend », marquée par sa séparation avec Yoko Ono. Son deuxième fils, Sean, venait de naître et Lennon, pour la première fois depuis son adolescence, s’arrêta un instant : disons que placer cette thérapie à ce moment de sa vie est crédible.
De son enfance perturbée dans l'Angleterre de l'immédiate après guerre à sa rencontre avec Yoko Ono, en passant par les bouges de Hambourg et les stades américains : Lennon évoque les grandes étapes de sa vie ainsi que les « cadavres » qui émaillent sa route : sa mère, Julia. Sa tante, qui l’a quasiment élevé. Pete Best, le batteur originel, remplacé par Ringo Starr pendant leurs premiers enregistrements avec George Martin ; ou encore Brian Epstein, le manager du groupe, homosexuel amoureux transi de John Lennon. Foenkinos, dont la connaissance de l’histoire des Beatles est indéniable, exploite à fond le côté « Thérapie ». Lennon, c’est un torrent de paroles qui irrigue le livre. En ce sens il s’agit d’un bel hommage, car quiconque a lu ses interviews a pu constater à quel point cet homme plein de verve – voire de fiel – savait se livrer et se mettre en scène lors de ces exercices que la majorité des rocks stars abhorrent.
Mélanger fiction et réalité est percutant : à propos de la séparation du groupe, Lennon alias David Foenkinos déclare : « mon groupe n'était plus les Beatles mais la Paix ». Une des phrases les plus marquantes de cette psy-biographie est sans doute celle où John, conscient de son statut d'héraut de la paix, déclare brusquement qu'il voulait « être capable de montrer (ses) parties génitales à tout moment, pour ne pas être non plus un Gandhi ou un Luther King susceptible de se faire assassiner ». Superbe trouvaille de l'auteur ? Ce dernier précise bien en note de bas de page que cette phrase a réellement été prononcée en 69 par Lennon, avec son humour toujours si particulier et des dons de voyance assez perturbants. Et ne chantait-il pas shoot me au début de Come together ?
Cherchez la (es) femme(s) ?
Plus on avance dans l’ouvrage, plus le récit monologué tourne autour
des réflexions de Lennon sur deux femmes : Julia, la mère dont l’absence
pesante puis la mort ont rendu fou le futur beatle qui adopte ensuite
envers les femmes une attitude digne du macho le plus infantile dénigré
par les féministes ; Yoko ensuite, bien évidemment, avec qui Lennon dit
dans le livre avoir fusionné. Lors de ces séances, le personnage Lennon
reconstitue son itinéraire psycho-amoureux dans un sens téléologique
menant inévitablement à sa rencontre avec cette artiste japonaise
d’avant-garde.
« Tout le monde a dit que Yoko avait brisé les Beatles, mais c'est le regard sur elle qui a tout foutu en l'air. Si elle avait été accueillie différemment, rien ne se serait passé ainsi », lui fait dire David Foenkinos. C'est avec ce genre de réflexion, qui permet de voir l'aventure de Lennon sous un angle différent de celui adopté par nombre de documentaires ou de biographies, que l'imagination de David Foenkinos montre tout son intérêt. Magnifiquement servies par la plume de l'auteur, les confessions de John prennent un tour inédit et personnel, sans que l'on puisse accuser son thérapeute de violer sa pensée ou sa parole. En effet, l'auteur, se montre parfois critique, faisant reconnaître à Lennon certaines de ses erreurs : son comportement avec les femmes, son attitude distante envers son premier fils, Julian, son égoïsme aussi.
Et Paul ?
Enfin, sur ses relations avec McCartney, on a droit à quelques saillies bien « lennonesques » mais aussi à la reconnaissance de leur amitié, de leur parcours commun : quand il parle de leurs retrouvailles au milieu des années 70, l’auteur fait dire à Lennon cette phrase : « on n’avait pas besoin de se parler. On était un vieux couple ». Finalement, dans ce livre, comme dans la vie de Lennon, tout ne tourne-t-il pas autour de Julia la mère, Yoko la muse, et Paul bien sûr : frère et double à la fois, tour à tour aimé, jalousé et regretté ? Lennon n’hésitait pas, en tout cas, à parler de son groupe comme d’un mariage en tout cas… D'un exercice ambitieux et délicat (faire parler les morts et mieux encore, les faire se confier), parfois susceptible de provoquer une certaine gêne — ne sommes-nous pas finalement les voyeurs de cette thérapie imaginaire ? — David Foenkinos se sort avec un brio alliant érudition et imagination et livre une jouissive et émouvante recréation de la parole de Lennon qui ne lasse jamais. Pour autant cela valait-il le coup diront des esprits chagrins ? N’est-ce pas puéril, vain ? Cela ne relève-t-il pas du jeu d’esprit un peu facile ? Alors, cher lecteur, je chanterai avec le personnage du livre : « we’re playing those mind games together ».
Le personnage de Lennon méritait une telle mise en abyme. Saluons donc un ouvrage susceptible, en ces temps de nostalgie des stars disparues, de plaire à la fois aux fans du Beatle assassiné, ainsi qu’à tous les amateurs de musique pop du siècle dernier : ne boudons donc pas notre plaisir.
Sylvain Bonnet
David Foenkinos, Lennon, Plon, 236 pages, octobre 2010, 18 €
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