François Berléand est "Le Fils de l'homme invisible"

Acteur de seconds rôles décalés et porté au devant de la scène par la jeune génération, dont Guillaume Canet, François Berléand a quelque chose de touchant dans sa manière particulière de jouer entre cynisme, dérision et bêtise crue. C’est une partie de ce personnage qu’il donne à lire dans son premier récit et, comme souvent dans l’exercice des non professionnels de l’écriture, il va s’agir de son enfance et du regard porté sur lui par les adultes.

« Je suis plutôt mal à l'aise. Me dire ça sans aucune préparation, et devant tout le monde en plus, non, décidément, cette révélation aurait mérité un peu plus de discrétion. / Parce que c'est sacrément important, si je suis le fils de l'Homme invisible. À l'école, je vais devenir le chef. C'est énorme. »

Le fossé est grand, entre des adultes aimant mais ne pouvant comprendre ce qui se trame dans la tête du petit, et cet enfant qui, sur une remarque — à double sens, pour les adultes, qui supposent une situation de second lit —, va se prendre, pour de vrai, pour le fils de l’homme invisible. À partir de ce petit moment tout simple, l’enfant se crée un mécanisme de vie qui va le faire passer pour un demeuré mais dans lequel il s’enferme petit à petit, fort de la vérité que lui seul connaît : il est le fils de l’homme invisible. Après avoir vérifié dans chaque miroir s’il se voyait, et si les adultes le voyaient, il comprend qu’une manière de don magique lui a été attribué et que, dès lors, il doit faire attention. Le premier don, le plus beau, c’est celui de l’amour de sa mère, si chérie, et la tendre complicité qui les unit. Elle se faufile dans son jeu, fait semblant de ne pas le voir pour profiter encore plus du câlin de la découverte de l’enfant caché sous ses draps. De longues séances de câlins vespéraux, loin des rigueurs proustienne du coucher – il s’agit d’une autre complicité.

Tout est dorénavant jeu, il ne parle pas au médecin croyant avoir à faire une sorte de ni oui ni non ou s'il se tait parce que le médecin n'a pas dit « Jacques à dit », et aussitôt le pédopsychiatre le considère pour déficient, gentil, mignon, mais limité. Il s’est enfermé dans une manière de monde où il est seul à savoir, à comprendre, non pas autiste puisqu’il communique tout de même, mais il s’isole des autres aussi bien que de lui-même dans une enfance continuée et illusoire. Tout est jeu, c’est l’art naïf du récit qui renforce à la fois cette belle évocation de son enfance et nous fait comprendre, peut-être, ce touchant décalé de l’acteur que nous connaissons. Décalé, voilà le mot, et comme il est persuadé d'être vraiment le fils de l'homme invisible, il se prend vite à son propre jeu et croit que tout, le monde et les gens qui s'agitent autour de lui, n'est qu'un trucage mis en place par amour par ses parents pour faire comme s'il était normal, pour qu'il se sente normal. Mais il se sait différent, limite « trisomique » et tout ce qui va à l'encontre de sa perception du monde est une savante mise en scène payée par ses parents.

Ce sera finalement la rencontre avec Marc, psychologue plus sensible à ce « cas », qui va lui faire rencontrer la vérité, en le mettant dans une situation où il n'est pas possible que ses parents soient intervenus. Cette « thérapie » de choc va le rendre à la normalité, si tant est que ce soit mieux. 

Un style fait d’humour tendre et de dérision, où l’enfant se met lui-même en situation d’être risible mais jamais ridicule, qui rappelle, la cruauté en moins, Les Pieds Bleus de Claude Ponti. Un style attachant et simple, sans révolution ni rien de véritablement important, mais avec cette touche gauche et juste à la fois qui en fait un témoignage touchant. Et c'est toute la distance entre ce que disent les adultes et ce que perçoivent les enfants qui est mis ici en scène, avec beaucoup de réussite, où le « ça va de soi » n'est pas si simple. 


Loïc Di Stefano


François Berléand, Le Fils de l'homme invisible, Stock, novembre 2006, 208 pages, 17 € 

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