Fulgurance d'Anne Percin : "Le premier été"

Après le très apprécié Bonheur fantôme, Anne Percin confirme son don pour l’introspection et l’ethnologie de l’entre-deux monde des ados, cet univers qui révèle l’authentique nature humaine dans son animalité et sa violence. C’est Catherine qui va l’apprendre l’été de ses seize ans. Comme chaque année, avec sa sœur Angélique, de deux années plus âgées, elle passe le mois d’août chez les grands-parents à Sainte-Marie. Très peu d’activités modernes sauf une piscine municipale où se côtoient les enfants du village et les colons, ceux venus de la ville... Alors Catherine reste dans ses livres, parle peu, se lie encore moins. Elle observe, elle étudie les gens et s’amuse de voir Angélique se laisser draguer par un grand de la colo. L’arrivée de tous ces jeunes rapproche les deux sœurs des enfants du village, il faut faire front commun contre l’adversaire. Chacun y va de son canular pour impressionner. Rien ne les arrête et dans le jeu de l’esbroufe les affinités commencent à se tisser. 
Catherine continue cependant à demeurer dans son mode et passe du temps avec sa Mémé avec qui elle apprend la cueillette des haricots, le nom des fleurs sauvages...


Souvent, les après-midi de sieste elle ne trouve pas le sommeil, et pendant que tout le monde dort, elle se rappelle une phrase de "l’auteur de Chéri : « Petite, j’aimais tant l’aube que ma mère me l’accordait comme une récompense. » Être la seule éveillée au début d’une après-midi d’été, c’était [son] aube..." ; alors elle ose une promenade dans les champs. Elle s’aventure près du cours d’eau, aperçoit une ombre, s’amuse à se faire peur. Elle rampe sous les herbes hautes, épie cette forme qui bouge, espionne un jeune homme entièrement nu qui se joue du soleil puis se baigne dans les courants avant de repartir vers l’inconnu, ces terres au-delà du bras d’eau... Elle ressent alors d’étranges picotements, une attirance pour ce garçon, la beauté de son visage, ses yeux, son sourie de chat, la sculpture des muscles... son corps semble soudain s’éveiller d’un long sommeil. Elle rentre sans mot dire, gardant pour elle ces prémisses d’un secret qui éclot au monde... 
Viendra la grande fête organisée par le directeur de la colo pour clore la journée de compétition qui a opposé enfants du village à ceux de la ville. Catherine ne danse pas, elle se laisse porter, toute encore à son secret, et se retrouvera dans le mouvement, accompagnant les garçons qui viennent de découvrir que de l’alcool était caché sous les sapins, dans la haie qui entoure le bâtiment. Ils tentent une sortie sans se faire voir des moniteurs et là, elle le voit. Sans doute est-ce lui qui a apporté les bouteilles de bières qu’il ouvre avec ses dents. Il ne parle toujours pas mais son sourire est son arme fatale. Ils s’éloigneront dans la brume chaude et poisseuse de cette fin d’été.


L'accomplissement d’un acte démontre parfois la puissance et la force d’une émotion face au code de la morale, ici il affirme la liberté d’être, ce courage de faire ce que l’on désire le plus profondément en soi, sans en mesurer les conséquences. Car c’est bien plus tard que Catherine verra son esprit voler en éclats quand elle devra affronter le regard des autres, le monde des autres, cette société qui juge et classe sans mesure, qui dénonce et impose ses canons sans laisser aucune marge d’erreur, aucun espace pour la différence. Seule face à tous, seule contre tous elle commettra n’innommable, se parjurera, et n’oubliera jamais plus son comportement, au point que quinze ans plus tard, elle vit toujours seule et porte son fardeau comme d’autres leur croix.
L’apprentissage est une étape douloureuse à laquelle on ne peut échapper. Anne Percin nous l’expose dans une langue magnifiée qui sait rendre chaque détail, son, odeur, ressenti dans le paysage éternel d’un été où tout bascule. La mort de l’enfance aura son corollaire, stèle modeste à l’entrée du village, comme une épine d’éternité plantée dans les chairs qui se réveille par temps froid, et se rappelle à vous pour dire que l’innocence, elle, ne trépasse jamais...


François Xavier


Anne Percin, Le premier étéRouergue, coll. "la brune", août 2011, 163 p. - 16,00 €

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