Mariusz Szczygieł, Gottland

Petites chroniques pleines de compassion, mais sans complaisance pourrait être le résumé de Gottland de Mariusz Szczygieł, décrit comme une « radioscopie subtile de la dérivée du totalitarisme » en quatrième de couverture. Il aurait aussi pu être titré: L'Avenir radieux du passé! Pour un lecteur polyglotte, ne serait-ce le double « t », Gottland pourrait être « le pays de Dieu », mais Szczygieł se réfère avec un petit clin d’œil, à Gott, une idole de la chanson tchèque des années passées. Tout comme Elvis Presley et Graceland aux USA, Gott, de son prénom Karel, possède une propriété, baptisée Gottland et de nos jours un musée. Voilà pour la linguistique.

Les récits relatent la vie des Tchèques sous l’occupation de régimes totalitaires et la manière dont ils ont survécu. Des histoires au quotidien, insolites, empreintes de loufoquerie et, surtout, d’humanité.

"1939. Comment ça va chez vous ? demande la journaliste Milena Jasenká à un paysan tchèque.
– Bah, j’ai planté des pommes de terre, semé du seigle. Le printemps a été froid, mais ça pousse bien, comme par miracle. Dans mon jardin, je vais abattre deux vieux pommiers et les remplacer par des nouveaux. La cane a des petits, allez les voir, madame, on dirait des boules de duvet. Il va falloir que j’élague un peu le buisson de lilas, avant qu’il ne dépérisse, pour avoir un beau jardin cette année, lui répond le paysan .
– Mais comment faites-vous avec les Allemands ? insiste Jasenká.
– Eh bien, ils vont et ils viennent, et, moi, je travaille, répond-il tranquillement.
– Et vous n’avez pas peur ?
– Peur de quoi ? réfléchit le paysan à haute voix, avant d’ajouter : Et puis, vous savez, un homme ne peut mourir qu’une seule fois. S’il meurt un peu trop tôt, il sera mort un peu plus longtemps, c’est tout."


L’auteur propose une plongée édifiante et passionnante dans « l’avenir radieux » de l’ancienne Tchécoslovaquie. En effet, que penser de l’édification de la plus grande statue de Staline et de sa destruction huit années plus tard. Tout en granit, elle faisait trente mètres de hauteur, les pieds à eux seuls deux mètres chacun de pointure et, comme la Vénus d’Ile de Mérimée, elle causa la mort de plusieurs hommes. Goebbels tomba amoureux d’une vedette de cinéma tchèque et une nièce de Kafka emploie des subterfuges farfelus pour garder à tout prix l’anonymat. Dans un humour caustique, Szczygieł rapporte l’épopée de la dynastie Bata où il épingle le système capitaliste des magasins de chaussures.


Au premier abord, il semblerait qu’en temps de dictature la seule solution possible pour survivre soit de courber l’échine, de se soumettre, telle une fatalité. Un petit peuple qui veut survivre dans des conditions défavorables doit s’adapter. L’héroïsme de notre époque, c’est de faire tout ce qu’on nous demande et ce qu’on exige de nous. La journaliste Milena Jasenká explique: 

"Le seul geste qu’auraient pu faire les hommes tchèques, le 15 mars 1939, eût été un acte suicidaire. Il est sans doute glorieux de verser son sang pour sa patrie dans un sursaut d’héroïsme. Je pense même que cela n’est pas bien difficile. Mais nous, nous devons agir différemment. Nous devons vivre. Nous devons épargner chaque être humain parmi les nôtres, chaque force vive, aussi petite soit-elle. Nous ne sommes pas assez nombreux pour nous permettre de faire des gestes héroïques. Nous sommes huit millions – c’est peu, trop peu pour commettre des suicides. Mais suffisamment pour vivre."


L’horreur d’une doctrine broyant les vies se révèle à la lecture, mais Szczygieł démontre aussi, par un questionnement raffiné, l’inhumanité des magazines people jetant en pâture les affaires privées : "Y a-t-il une différence entre vos méthodes (celles des magazines people) et celles des services de la sécurité ? ai-je demandé. Une différence capitale, a répondu un des journalistes. Premièrement nous satisfaisons la demande populaire, ce qui n’était nullement le cas de la police politique. Et deuxièmement, notre journal n’a rien à voir avec le communisme, nous faisons partie d’un consortium capitaliste suisse."

Certains de ces hommes et femmes rencontrés au fil des pages finissent par mourir de culpabilité de ne pas s’être conduits la tête haute et vont jusqu’à se suicider ou bien changent d’identité pour mieux s’oublier. Jamais Szczygieł ne les juge. Le 27 mars 2003 à la Comédie de Prague sur une représentation de La métamorphose de Kafka, il rapporte : Dans cette adaptation scénique, le problème du héros n’est pas tant de s’être transformé en cafard, mais plutôt de trouver un moyen de se rendre au travail dans cet état. Cette dernière phrase est sublime d’éclairement.


Seize histoires brossées magistralement dans une vraisemblance tenant autant de l’éphéméride commenté que du roman. Mariusz Szczygieł est né en 1966 à Zlotoryja, en Pologne de l’ouest. Gottland a reçu le prix du Livre européen du roman, lancé en 2008.


Murielle Lucie Clément


Mariusz Szczygieł, Gottland, Actes Sud, 2008, traduit du polonais par Margot Carlier, 280 pages, 21,80 €

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