Marek Bieńczyk, Tworki

Malgré toute la grâce légère dont est empreint le roman, dès les premières pages, le lecteur sent une ombre nocive planer sur l’ambiance idyllique de Tworki où Jurek, doux rêveur, partage son goût des lettres avec les pensionnaires et ses amis dans ce grand hôpital psychiatrique situé dans la banlieue de Varsovie.


"Il apparut que sa mer à elle avait naguère été aussi à nous, ses vagues venaient lécher nos plages, une langue de terre bilatéralement délimitée et internationalement reconnue, son ambre était la propriété de notre État, virtuellement sous forme de sable et bien concrètement sous forme de broches et de coraux, mais sa ville natale n’était pas tout à fait à nous ; elle avait été libre, et cela faisait rire Jurek, libre comme une jeune fille à marier, comme un taxi ou un rickshaw sans passager, ou un colimaçon sans coquille, et ce jusqu’aux premières salves tirées sur Westerplatte".


Sonia, Olek, Anna, Marcel, Jurek et Janka font l’apprentissage des émois amoureux si tendres de la jeunesse. Mais parmi les paysages boisés, les champs ondulant sous les brises, la gare et ses rails se perdant à l’horizon semble embarquer les passagers vers une destination cauchemardesque.


"Ce murmure sur le banc, c’était Marcel caressant les cheveux d’Anna et lui baisant les yeux, et ces phrases que voici, sur une mélodie plus récente, mais tout aussi mélancolique, c’était Marcel disant ses doutes : “Tes mots dits à mi-voix résonnent joliment ; tes lèvres sont ardentes et tes yeux sont luisants ; mais moi je crois plutôt que c’est un guet-apens ; et qu’en guise de Suisse le four nous attend.”"

Marek Bieńczyk laisse son lecteur pénétrer par la grande porte de la poésie dans ce troisième roman tout en sensibilité pudique ou la narration devient chant, la réalité ressemble à un rêve et la dérision affectueuse est chargée d’empathie.


C’est du dessous de ma paupière, c’est du fond de la rivière que ces mots sont venus au monde. Au commencement, oui, était l’écriture, de hautes lettres trop serrées, disgracieuses, qui se disputent la place et entravent l’envol de la phrase. L’un dira que les mots ne se pressent guère d’atteindre le point, l’autre que quelque chose les retient, et tous diront, moi le premier, qu’en vérité ils voudraient pouvoir encore reculer, rebrousser chemin, mais qu’il n’est plus temps. Il faut leur offrir une dernière chance de remplir la ligne, de respirer à pleins poumons d’une marge à l’autre, maintenant que tout est consommé, ou que rien n’a plus d’importance.


Murielle Lucie Clément


Marek Bieńczyk, Tworki, Denoël & d’ailleurs, 2006, traduit du polonais par Nicolas Véron, 270 pages, 20 €

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