Marc-Édouard Nabe, Au régal des vermines : Bouncing with Nabe

Toutes les critiques faites à l’encontre Marc-Édouard Nabe sont vraies. Le plus faraud des nabots est outrancier, racoleur, vulgaire, mégalo, puéril, narcissique, superficiel, morveux, paranoïaque, cabotin, hystérique, braillard, geignard, bavard et creux. Seulement voilà : il suffit de rouvrir Au Régal des vermines, que l’écrivain désormais businessman fait reparaître ces jours-ci, pour être écrasé par l’anormale puissance de la bête. La lecture de Nabe est semblable à la prise répétée d’ecstasy : bouffées d’euphorie mystique et frissons de morbidité honteuse alternent pour nous laisser, finalement, en vrac. Lire Nabe, lire ce Régal jeté jadis sous les gueules enfarinées de France comme une savonnette dans une prison turque, c’est se sentir en même temps larve et papillon.

 

Cet objet littéraire en forme d’aérolithe, de bazar ailé, nous fait un peu regretter de n’être pas né plus tôt : nous l’aurions lu dès sa parution et, doux idiots prenant l’engin en pleine poire, aurions reçu la bénédiction de trente-six chandelles. Tout ici est splendide, les passages moindres compris. C’est rythmé, vivant, cocasse, foutraque : un vrai festin, de larves follettes. On a dit que Nabe faisait du sous-Céline : facilité de docteurs en petits points, les pistant partout : « Voyons… voyons voir… Où… Là..! ça y est! vu! Céline…! Spécialiste ! moi ! » Pauvres maniaques. L’influence du « Père-Sperme » est bien visible, et alors ? Nabe, son style, ses thèmes, tout dès vingt-cinq ans est là, fait et bien fait, coulant camembert – au lait cru. Il faudrait citer tous les standards nabiens ; c’est ce que nous faisons : le jazz, la lecture jouissive et maladive, le saint-nombril, le « fascisme de l’écriture », le père et la mère passés au rasoir d’amour, et puis toutes les idoles, Bloy, Rebatet, Céline, le jazz, les jazzmen, les Africains, le vagin, Hélène Hache, tout le reste encore, roulant dans la sarabande grouillante quoique circonscrite des enthousiasmes et des haut-le-cœur. Comme les Romains de la décadence, Nabe se bâtit des balthazars déments, dîne dans de la vaisselle sale, rend dans des gobelets d’argent, et remet le couvert. Qui vomit a dîné, annonce notre amphitryon. Belle devise, quand notre démocratie postiche tend le crachoir à une opinion qui, famélique, ignore qu’on n’a le droit de vomir ici qu’à proportion qu’on loue là. Or, Nabe idolâtre comme aucun. Qui ne jubile point à la lecture du portrait de Thelonious Monk est une âme-tronc pour jamais, une vache molle – une pomme de terre invétérée.

 

Alors, il y a les fameux paragraphes sur les Juifs – essentiellement une resucée de Bloy et de son Salut par les Juifs. Eh ! très chers curés ! Qui sera (a été… ?) assez indécent pour reprocher au jeune Nabe d’avoir ainsi mis le doigt où l’époque avait mal, c’est-à-dire jouissait – sur l’antiracisme téléguidé, cache-sexe d’un socialisme frigide, à tête d’effeuilleuse et seins en gants de toilette, dont aucun lait n’est jamais sorti? Quelques momies exceptées, tout le monde sait combien les « années Mitterrand » furent infâmes. Alors, il faut un pauvre d’esprit – au hasard : un Miller ou un Bourmeau – pour se persuader qu’écrire le mot youtre, certes abject, fait de vous un antisémite, alors qu’on l’écrit, ce mot, pour se désencombrer des petits Bourmiller, de toute la clique de pions vertueux qui a fait des trente dernières années les plus invraisemblablement mornes des dix derniers siècles.

 

Qu’y eut-il dans les années 80, en France, à part rien, et, jeté au milieu du rien comme une boule de feu puante – Nabe ? Il fallait que Marc-Édouard vînt, et son parfum d’étable, pour dissiper les effluves rose-tonton, tout l’encens des cohortes cool communiant dans la sympathie obligatoire : potes stipendiés, « jeunes » cacochymes, rockers hexagonaux, publicitaires post-babas, démocrates durs, tolérants mous, racistes refoulés et antiracistes ampoulés. Le Régal, c’est un peu les écuries d’Augias, à l’envers : il s’agissait de nettoyer au purin toute la javel du temps. Ce qui fut fait, et proprement. Nous qui lûmes le Régal au milieu des années 2000, et le relisons céans, tenons à rassurer les heureux futurs lecteurs : la puanteur est intacte. Et elle embaume dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise.

 

Jean-Baptiste Fichet

 

Marc-Édouard Nabe : Au régal des vermines, réédité par l'auteur, mai 2012, 304 pages, 25 €

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7 commentaires

Enfin quelqu'un qui comprend ce merveilleux tas de boue qu'est "le régal" ! Merci pour cet article passionné et qui rend ("burp") bien l'écriture joyeusement haineuse du livre.

Enfin quelqu'un qui comprend ce merveilleux tas de boue qu'est "le régal" ! Merci pour cet article passionné et qui rend ("burp") bien l'écriture joyeusement haineuse du livre.

Le Régal Des Vermines est génial. Il est indispensable à qui veut retrouver son essence.

J'ai été subjugué par ce livre. Nabe, avec la force de ses 25 ans s'est sacrifié à la littérature dans cet ouvrage. Je pense qu'avec les années sont totalitarisme littéraire s'est éteint, dommage.
Je me permet de mettre le lien vers ma critique:
critique: au régal des vermines

Nab'O !

Nab'O !

Hors du commun...Faites place, ça arrive bientôt et c'est chaud ! Énorme comme apéritif d'une oeuvre littéraire qui se déguste, au fil des plats d'écrits qu'il sert à toi, lecteur. La jouissance et l'ivresse de le lire, quant le monde littéraire soûle,  est aussi une rencontre avec cet artiste unique. Où est le bec des pigeons ramasse-miettes du monde littéraire ? On s'en fout de toute façon...perso, je ne jure plus que par lui, comme je le ferai en parlant d'un génie de la musique avec un artiste lui-aussi assidu tel que Frank Zappa, c'est peu dire ! Incompris ou trop acidulé, Nabe, comme Zappa, est un fin gourmet qui pourtant doit aimer faire gerber. "Qui vomit a dîné", au menu, il y a beaucoup à choisir parmi lequel ce hors d'oeuvre, "Le régal des vermines". Un petit café à la turque...ou à l'italienne ?