Romain Verger, Fissions : Apocalypse noces

Fissions  le dernier roman de Romain Verger raconte une nuit de noces qui vire au cauchemar

 

On aurait tort de réduire le dernier romain de Romain Verger à quelque expression  cathartique même si , non sans habileté narrative l’auteur en quelques signes connote l’antiquité : un bouc sacrifié, une promise  qui interprète Eschyle, le regard perdu d’un Œdipe à Colonne  et tout le tralala cinématographique suscité par la mémoire et qui nous met  constamment sur orbite .Par exemple sur la fausse piste d’un David Lynch (le personnage hideux du magicien), d’un Luis Bunuel ( le rasoir d’un Chien andalou qui frôlerait notre œil de lecteur), d’un Chabrol qui virerait au gore provincial . Le vraisemblable n’est pas le fort de Romain Verger et tant mieux.


L’auteur d a plutôt tenté de distiller dans son roman une souffrance bien réelle avec le bon goût de ne pas vouloir l’afficher seulement comme souffrance. Et cela est perceptible dès les premiers mots du livre :

 

« Qu’ont-ils fait de nous Noëline, qu’ont-ils fait de toi ? » Ainsi parle fiancé à sa promise.


Mais le mariage va prendre un tour bien curieux.

Les dix premières pages de  ce court roman, «habité » vibrant, sont coupantes  et nous jettent dans un désir brûlant de connaître une réalité que nous connaissons peut-être déjà.  La  fonction de l’écriture sinon du roman est clairement identifiée : «  jeter un peu de lumière dans ma prunelle aveugle ».


Elles marquent dès le début du roman à  l’arme blanche comme on marque une bête qui va mettre tout le reste du récit à se remettre sur ses pattes, attendre quelque explication de cet   irrationnel  submergeant.  Encore  l’antiquité, l’ubris  des grecs qui court sous chaque ligne et se propage en ondes malfaisantes.

 

 Fissions pas schizes

 

 L’intrigue est mince mais universelle : un mariage qui part en vrille. Un narrateur qui travaille dans l’ordure (une déchetterie pardon !) et qui va se marier avec une fille de la campagne qui tue les boucs quand sa  méchante maman lui demande. La tueuse a des sœurs au prénom qui se termine en « ine » ce qui ne fait qu’ajouter à l’onirisme cruel et quasi-surréaliste du moment .


Un mariage qui exaspère c’est un thème universel  sur lequel on peut s’appuyer pour ensuite déréaliser sauvagement.  A défaut d’avoir assisté à quelque psychodrame nuptial  chacun peut se souvenir du Mariage d’Altman ou du plus récent « Another Happy Day » de Levinson junior. De la violence certes mais encore acceptable.


Fissions va nous faire passer au-delà. Les noces vont devenir  vraiment funèbres.

 

Le mariage de Rochecreuse va « fissionner » par la seule  violence des mots  et le dérèglement de l’écriture. La souffrance soit mais sans oublier la dimension artistique du styliste du néant qu’est Romain Verger. A l ‘image de son personnage qui manie le l’ordure au quotidien, le romancier va brasser le rebut pour  par quelque alchimie le transformer en or. Avec ce parallélisme inquiétant qui est celui de toute auto-mutilation : transformer une émotion incontrôlable en quelque chose de tangible.


Un roman aujourd’ hui ce n’est pas seulement une belle histoire, ni une complainte de l’air du temps.

 

Jean-Laurent Poli

 

Romain Verger, Fissions, Le Vampire Actif, 2013, 144 pages, 12,50 €) 

 

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